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Il nous plaît de prétendre que l'une des caractéristiques qui nous différencient
fondamentalement de l'Animal est l'étendue de nos interactions sociales, au
point de l'avoir érigée au rang de sciences : les sciences sociales,
essentiellement focalisées sur l'Humain. Si je ne suis pas toujours d'accord
avec leurs conclusions (ni même, parfois, leurs hypothèses), il n'en reste pas
moins que les sciences sociales, avec à leur sommet l'éthologie[^contributeurs_wikipedia_ethologie_2021], sont riches et passionnantes, au
point qu'il me sera difficile d'en produire un résumé sans passer sous silence
certains points qui paraîtront pourtant essentiels aux plus érudits dans les
domaines concernés, d'autant que ce sont des sujets qui passionnent et divisent,
parfois abruptement.
[^contributeurs_wikipedia_ethologie_2021]: Contributeurs Wikipédia. « Éthologie », Wikipédia, janvier 2021. <https://fr.wikipedia.org/wiki/Éthologie?oldid=179024192>
L'éthologie, donc, est l'étude des comportements des espèces Animales, y compris
l'Homme. Bien que le terme soit récent (Isidore Geoffroy Saint-Hilaire en
propose la définition en 1854), c'est encore Aristote qui fut probablement l'un
des premiers à mentionner le comportement Animal dans la même série de livres
que dans laquelle il présente sa classification des espèces, ce que fera
également Buffon plus de deux mille ans plus tard dans son _Histoire Naturelle_.
Mais c'est grâce à la théorie darwinienne (de l'évolution) que l'éthologie
connaît son essor.
Bien que ce fut Lamarck qui introduisit la théorie transformiste en 1809, la
théorie de Darwin, évolutionniste, était antitéléologique (sans finalité
pré-déterminée), fortuitiste (opportuniste ?), et matérialiste[^contributeurs_wikipedia_transformisme_2021]. Les deux scientifiques théorisent
l'évolution des espèces, mais divergent sur la question de la finalité, qui peut
être résumée à :
> Chez Lamarck : la fonction crée l'organe.
> Chez Darwin : l'organe crée la fonction.[^shmikkki_retour_2015]
[^contributeurs_wikipedia_transformisme_2021]: Contributeurs Wikipédia. « Transformisme (biologie) », Wikipédia, janvier 2021. <https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Transformisme_(biologie)&oldid=178592588>
[^shmikkki_retour_2015]: Shmikkki. « Le retour du Lamarckisme ? », Forums Futura, juillet 2015. <https://forums.futura-sciences.com/biologie/700335-retour-lamarckisme.html>
À l'idée que les caractères acquis sont héréditaires Darwin associe le principe
de sélection naturelle.
Les travaux sur l'éthologie de Konrad Lorenz, Nikolaas Tinbergen et Karl von
Frisch vont mettre en évidence la coexistence de caractères innés et de
caractères acquis chez les Animaux, et recevront pour cela le Prix Nobel de
physiologie en 1973. Ils concilient l'hérédité de certains comportements sociaux
des Animaux formulée par Lamarck, donc inscrits dans le patrimoine génétique,
avec l'acquisition de nouveaux traits qui sont ensuite "stockés" dans le
patrimoine génétique pour être transmis à la génération suivante, conformément à
la théorie de l'évolution de Darwin.
La génétique des comportements sociaux étudie depuis une vingtaine d'années la
corrélation entre l'expression de certains gènes et le comportement de l'Animal
concerné. Ces recherches concernent en particulier l'abeille _Apis mellifera_.
Elles sont menées par le _Honey Bee Genome Sequencing Consortium_ au sein de
l'Université de l'Illinois aux États-Unis depuis 2001, et dirigées par Gene Ezia
Robinson. Son équipe a fini par démontrer comment certains gènes (ou leurs
allèles, leurs variantes) pouvaient influencer le rôle de chaque abeille dans sa
ruche[^ben-shahar_influence_2002]: si un allèle particulier s'exprime, l'abeille
sera plutôt une ouvrière, ou plutôt une butineuse. Autrement dit, et de façon
assez vulgarisatrice, le rang social d'une abeille au sein d'une ruche est
potentiellement déterminé par ses gènes.
[^ben-shahar_influence_2002]: Y. Ben-Shahar et al. « Influence of Gene Action Across Different Time Scales on Behavior », Science 296 (avril 2002) : 74144. <https://doi.org/10.1126/science.1069911>
On peut donc supposer que nos comportements sociaux modernes résulteraient de
l'addition des comportements hérités de _H. neanderthalensis_ (mais aussi des
autres espèces qui lui étaient contemporaines, et de leurs prédécesseurs) et des
comportements acquis depuis, liés à l'augmentation de notre population, à nos
relations avec les autres espèces du genre _Homo_, à notre sédentarité, à
l'opulence que nous avons créé, et encore à bien d'autres choses.
***
Au même titre que la morphologie des individus, la longueur des pattes, la
forme des griffes, la couleur du pelage, le nombre de doigts, etc., les
caractères sociaux (et, par extension, psychologiques en général) seraient donc
stockés dans le génome de l'espèce. C'est l'objet de la psychologie
évolutionniste, dont Lorenz, Tinbergen et von Frisch sont les pionniers.
Imaginez un graphique, avec une ligne horizontale (l'abscisse), et une ligne
verticale par caractéristique génétique. Chaque individu serait représenté par
une série de points, un par axe vertical, situés plus ou moins loin de
l'abscisse en fonction de la "valeur" de la caractéristique considérée
(c'est-à-dire, en fonction de l'allèle dominant). Par exemple, un individu ayant
une voix grave verrait son "curseur" correspondant à la tessiture de la voix
plutôt vers le bas du graphique, en dessous de l'axe de l'abscisse. À l'opposé,
si le point était plutôt au-dessus de l'abscisse, on en déduirait que sa voix
est plutôt claire. Et si l'on pouvait le faire pour chaque gène et pour chaque
allèle, y compris ceux déterminant les caractéristiques sociales de chaque
individu, peu importe l'espèce ? À chaque nouvelle génération, on verrait
apparaître de nouvelles lignes verticales, correspondant aux caractères acquis
par la génération précédente, et intégrée au patrimoine génétique de la
génération suivante. Je trouve que c'est un système élégant pour visualiser le
patrimoine génomique d'un individu, et pourrait peut-être servir à des fins de
comparaison, entre individus, entre sociétés, entre espèces, et nous permettrait
peut-être de mieux comprendre l'évolution des caractères, sociaux ou non, sans
distinctions entre espèces.