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Raw Blame History

En résumé

Je mattendais à passer un bon moment, mais je ne mattendais pas à être accroc !

Contexte

La série suit Midge Maisel, jeune femme juive de lUpper West Side à la fin des années 50, mariée, deux enfants, dans ses pérégrinations dans le stand-up.

Personnages

Dur de ne pas sattarder sur un tel casting. Mrs Maisel offre un panel de personnages hauts en couleurs, attachants et réalistes. Tous ou presque sont délicieusement clichés, stéréotypes convaincants et inspirés, auxquels des acteurs tout simplement parfaits prêtent leurs traits.

À commencer par son héroïne, jouée par Rachel Brosnahan, qui incarne à merveille la housewife américaine des années 50-60. Son dynamisme et son assurance nont dégal que sa beauté et sa sophistication. Charmante et charmeuse, distinguée et maniérée, elle rappelle sans mal une certaine Bree van de Kamp dans Desperate Housewives, mais brune et après-guerre. Presquinébranlable, hyperactive, inépuisable, elle nen est pas moins touchante ; elle affronte tout ce que la Vie lui jette tout en restant droite, la tête haute et les yeux ouverts (parfois naïfs, mais ouverts tout de même). Cest une icône, évidemment : la série rappelle constamment létat des rapports sociaux de lépoque, particulièrement entre hommes et femmes (ce qui permet de comparer avec leur état actuel, toute fictionnelle que soit cette série), offrant à la fois une voix et des prétextes à des discours féministes distillés avec intelligence et pertinence.

Ses parents - positivement omniprésents - sont incarnés par Tony Shalhoub (Monk) et Marin Hinkle. Lui est un brillant professeur de mathématiques, elle est une femme au foyer classe et distinguée. Stéréotypes des parents juifs, ils sont possessifs et protecteurs, mais toujours généreux envers Midge, ce qui les rend très, très attachants. Je suis pris dune affection particulière pour Rose, malgré son intérêt pour les diseuses de bonne aventure : elle a beau être une femme au foyer, élégante et raffinée à toute heure du jour ou de la nuit (ce quelle a dailleurs transmis à sa fille), elle nest pas complètement soumise pour autant. Et mon affection pour son mari nest pas étrangère à sa compréhension et son soutient indéfectible à son épouse et à sa fille.

Michael Zegen joue le futur ex-mari de Midge. Le cas de ce personnage est intéressant : certes, dans lépisode pilote, on apprend quil souhaite rompre avec Midge et quil a eu une aventure avec sa secrétaire. Mais, loin du cliché du mari infidèle habituellement servi, stupidement égotiste, Joel Maisel savère être un personnage plus travaillé que ça. On en viendrait presque à lui pardonner son écart initial, mais je nen dirai pas plus pour ne pas gâcher la surprise (la votre comme la mienne, étant donné que je nai pas encore terminé la série à lécriture de ces lignes). En tous les cas, Michael Zegen convainc dans le rôle de Joel Maisel.

Susie Myerson devient rapidement lagent de Midge. Alex Borstein donne vie à ce personnage, diamétralement opposé à Midge. Susie est pauvre, “mal” habillée, na aucune classe ni aucune distinction. Sous ses airs de “garçon manqué” se cache pourtant un manager au grand coeur, qui va entrer dans la vie de Midge et réciproquement. Un choc des cultures habilement mené, drôle mais aussi émouvant, parfois et malgré lapparente fermeture émotionnelle de Susie.

Il y a encore beaucoup dautres actrices et acteurs présents dans la série mais aussi injuste que cela soit, je me contenterai de ces présentations.

Scénario

Quil est bon de se tenir éloigné des intrigues, complots et autres assassinats, à qui les grosses séries des deux dernières décennies font la part belle… Quil est bon, aussi, déviter les séries stupidement drôles, qui ne font rire que pour le prétexte de rire, sans la moindre petite réflexion, même cachée.

Le scénario de Mrs Maisel réussi ce qui semble être un équilibre précaire entre le réalisme et lhumour, et qui soffre en plus le luxe de se rajouter des difficultés. Car, non contente de proposer un pitch original sans être absurde, la série transcende des sujets aussi épineux que le féminisme donc, spécifiquement dans le stand-up mais aussi dans la société en général, tout en dépeignant des personnages masculins de façon beaucoup moins négative que dhabitude. Le message féministe diffusé par la série nen est que renforcé.

Je sais que jen parle beaucoup, mais il ne faudrait pas réduire Mrs Maisel à une simple comédie féministe. Effectivement, il est question de la place des femmes dans la société, mais cest avant tout lhistoire dune jeune femme qui tente de percer dans lart du stand-up et de lhumour, tout en gérant les autres aspects de sa vie, et notamment sa situation personnelle, tiraillée entre son mari, ses parents, ses enfants et ses amis. En fait, cest une série sur les super-pouvoirs des femmes : ce travail quelles nont pas dans une entreprise, elles lont au dehors, à la maison, au sein-même de la famille, et parfois au-delà, en devenant amies, confidentes, épongeant les malheurs des autres, psychologue de pilier de bar (logiquement, en tant quhumoriste débutant une carrière). La main sur le coeur, altruiste, chrétienne - si jose dire, toute scène avec un tempo élevé donne à voir une Midge Maisel dans son élément : le stress lalimente, et la transforme en une authentique Wonder-Woman, capable de tout gérer sans mauvaise contrepartie, ou presque, devenant de fait un modèle pour toute les autres femmes, de la fiction mais aussi chez les spectatrices, qui doivent se sentir inspirées par un personnage aussi charismatique et entraînant.

Lécriture est à la hauteur du reste : brillante. Rien nest jamais insipide ; pourtant, rien ne paraît complètement absurde. La surenchère de situations comiques na que le prétexte de la naïveté de Midge, due à son intronisation dans les couches plus basses de la société quelle na pas lhabitude de fréquenter. Et cette “surenchère” est constamment pondérée par des situations plus sérieuses, sans toutefois tomber dans la tragédie la plus sombre. Cet équilibre rend la série agréable à regarder, et on enchaîne les épisodes avec gourmandise.

Avertissements sur le contenu

Jai trouvé les avertissements sur le contenu quelque peu exagérés, mais peut-être que mes sensibilités sont moindres que celles du public actuel.

La nudité est très occasionnelle (“inévitable” dans lépisode pilote pour appâter, rare dans le reste de la série, mais pour une fois mesdames pourront aussi se régaler) et ne donne pas limpression dêtre nécessaire à garder lintérêt du public pour la série. Point ici de scènes inutilement explicites : ce nest pas une série pour se rincer loeil. À mon sens, et ça vaut ce que ça vaut venant dun homme hétérosexuel, il ny a pas de sexualisation abusive, seulement des élégances (différentes selon les personnages) dont seules les femmes sont capables.

Ceci dit, il est vrai que le langage est souvent discordant avec la classe inhérente au personnage de Midge : cest dailleurs un élément comique presque central. Mais là encore, ce ressort nest pas abusivement utilisé. Les jurons sont aussi naturels quils peuvent lêtre. À mon sens, la classification de la série (jusquà linterdiction aux moins de 18 ans sur certains épisodes) est, sur ce point aussi, très sévère.

En revanche, et cest probablement la raison principale de cette classification, les différents protagonistes passent leur temps à fumer (parfois pas que du tabac) et à boire de lalcool. Ça me semble historiquement cohérent (après la Prohibition jusquen 1933 puis la guerre mondiale), et dans un monde idéal, il ny aurait pas besoin davertissement sur un contenu qui cherche à dépeindre avec authenticité une société humaine dans un contexte donné. Mais, la société étant ce quelle est, chaque épisode est précédé de son lot davertissements pour consommation de drogues ou dalcool, de violence ou de scènes à caractère sexuel. Pour autant, Mrs Maisel na rien dun Breaking Bad, dun The Walking Dead ou dun Game of Thrones, respectivement.

Photographie

Wow. Simplement, wow. Moi qui suis très friand de laprès-guerre aux États-Unis, je suis servi. Une autre série me vient à lesprit pour évoquer mon sentiment face à la photographie de Mrs Maisel : Stranger Things. Cest comparer les torchons et les serviettes, mais Stranger Things ma marqué par lattachement à une représentation fidèle des années 1980. Mrs Maisel se déroule indubitablement à la fin des années 50, avec un soucis du détail extraordinaire. Je me suis même demandé combien de vieilles voitures dépoque ils avaient retrouvé et recyclé pour les besoins de la série. Que lon parle des véhicules, de larchitecture, des costumes, tout est figé dans le temps, et cest un régal pour les yeux.

Je digresse par rapport à la photographie, mais cette fidélité se retrouve également dans tous les aspects sociaux abordés dans la série, aussi bien dans les rapports entre genres que dans le management dentreprise. En fait, photographie et rapports sociaux se renforcent mutuellement dans Mrs Maisel pour donner une illusion cohérente et réaliste du New York post-1950. Le résultat est brillant, envoûtant, plus que tout ce que jai pu voir jusquà présent sur ce contexte.

Bande son

Là encore, un travail extraordinaire a été fourni. Je napprécie pas particulièrement ces années-là sur le plan musical, mais je reconnais une sélection riche, intelligente, pertinente et parfaitement orchestrée. La musique donne de lentrain, achemine le spectateur dhistoires en histoires, en le faisant passer par des détours souvent humoristiques (puisque cest le thème de la série) et, occasionnellement, mélancoliques. Une fois de plus, carton plein pour Mrs Maisel.

Conclusion

Avec Mrs Maisel, jai voulu sortir de ma zone de confort. Las des productions actuelles, soit sans ambition soit trop ambitieuses, jai voulu essayer quelque chose de nouveau, de différent. Et je ne regrette pas de mêtre laissé tenter.

Je prends beaucoup de plaisir à revoir des séries vieilles de dix à vingt ans, voire davantage encore : Shes the Boss (Madame est servie) ou The Nanny (Une nounou denfer) par exemple, que je trouve similaires dans leur construction, dans la mesure où, comme Mrs Maisel, tout est affaire déquilibre entre comique et drama, dans une ambiance particulière, chaleureuse, positive, et où les accidents de la vie sont de simples dos dâne sur le parcours des protagonistes. De bonnes séries familiales, qui offrent un bon moment, qui donnent envie de se faire une tisane avec des gâteaux, emmitouflés sous la couette quand il fait froid dehors.

Plus tard, il y avait Friends, et The Big Bang Theory, mais dans des registres très différents. Je reviens toujours à ces séries avec grand plaisir, mais la construction de la narration est différente, lambience nest pas du tout la même, et la proximité temporelle de ces séries avec ma propre vie ne moffre pas le même regard sur elles que celui que jai sur les séries plus anciennes. Ces séries là, aussi excellentes quelles puissent être, ne me donnent pas envie de cocooning.

Et cest là le dernier coup de maître de Mrs Maisel : cest peut-être le chaînon qui manquait à mon calendrier des vingt prochaines années. Je pense que dans vingt ans, je retrouverai le même plaisir à regarder Mrs Maisel que jen ai eu à regarder The Nanny vingt ans après lavoir vue pour la première fois. Avec la même envie de tisane et gâteaux sous des plaids polaires devant la cheminée.

Assurément lune de mes séries préférées de la décennie !