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## En bref
- J'adore !
- La série s'améliore nettement au fil des saisons
- Non, ce n'est pas une série "pour les enfants" !
## Contexte
_La Colo du Crétacé_ prend place, vous l'aurez deviné, au sein de la franchise
[_Jurassic World_](/termes/jurassic-world/), avant, pendant et après les
évènements survenus durant le premier volet de la saga. Le point de vue adopté
est celui de six adolescents invités à tester le Camp Crétacé avant son
ouverture prochaine. Ce sont donc des participants triés sur le volet, puisque
l'on retrouve une championne sportive, une influenceuse, une fille de ferme, un
geek introverti, un gosse de riche et un dino-nerd.
> Je rappelle, à toute fin utile, qu'on n'est pas dans du cinéma d'auteur : _La
> Colo du Crétacé_ ne s'adresse pas à un public qui recherche la complexité
> émotionnelle et psychologique...
## Personnages
Le groupe principal est constitué de personnalités variées, fortement
stéréotypées (ce qui ne me pose pas de problème particulier) :
- Darius, passionné de dinosaures et de jeux vidéos
- Ben, peureux, sensible, et rarement séparé de son gel hydro-alcoolique
- Yasmina, athlète accomplie
- Brooklynn, l'instagrameuse
- Sammy, la fille de ferme, rieuse et bruyante
- Kenji, le vaniteux fils de riche
Si, au premier contact, aucun d'entre eux ne suscite l'attachement du public, la
progression dans l'histoire va rapidement changer cela. Ceux qu'on détestera au
début seront appréciés à la fin (de la première saison), et on se rend compte
que, finalement, la sauce prend bien.
<x-spoiler>
C'est encore plus vrai à partir de l'épisode S02E05 "_Brave_", quand Ben et
Bumpy deviennent des bad-asses. L'évolution de Ben est frappante, et rafraîchi
considérablement son intérêt dans la série.
Je note également la trahison de Sammy qui, finalement, ne prend pas des
proportions dantesques, ce qui aurait probablement nuit à la série. Au final,
cette trahison est diluée dans l'histoire, et ne change pas la psychologie du
personnage, ce qui est une excellente chose.
</x-spoiler>
Dans l'ensemble, la psychologie de ces personnages est équilibrée et maitrisée,
c'est-à-dire que chaque personnage reste cohérent au fil de la série, à
l'exception de l'exemple cité dans le spoiler ci-dessus, mais c'est une bonne
chose !
Outre les ados, deux personnages reviennent assez régulièrement : Roxie et Dave,
les chaperons du Camp Crétacé, qui ponctuent la première saison de leurs
interventions, tantôt drôles, tantôt percutantes, mais toujours bienveillantes.
De bonnes figures parentales, justes et attachantes.
On retrouve dans la première saison un Dr Wu plus caustique que jamais (et
surtout, beaucoup plus grand !), beaucoup plus sombre et sévère que dans
n'importe quel arc narratif de la saga, à l'exception du jeu vidéo _Jurassic
World: Evolution_. Traitre affiché dans _Jurassic World_, sympathique connard
dans _Lego Jurassic World : La Légende d'Isla Nublar_, il transpire l'hostilité
et la malveillance dans _La Colo du Crétacé_.
Dans la deuxième saison, trois nouvelles têtes font leur apparition et sont à
l'origine d'un twist probablement évident et attendu, néanmoins bienvenu et
correctement amené dans l'histoire.
Les voix choisies sont correctement interprétées, même si parfois le jeu
d'acteur est un peu faiblard. La voix de Yasmina me semble clairement en
retrait, en particulier par rapport à celle de Kenji pour qui surjouer est
cohérent. Mention spéciale aux voix de Brooklynn et Dave, parfaitement calibrées
pour leurs personnages !
## Esthétique
Pour juger l'esthétique de _La Colo du Crétacé_, il est important de faire la
distinction entre l'esthétique en général (personnages et décors) et celle des
dinosaures en particulier, parce que les deux sont fondamentalement différentes.
Les environnements sont riches et colorés, et cohérents avec l'esthétique
habituelle de la franchise. De la jungle, de la montagne, de l'eau, on est bien
(virtuellement) sur Isla Nublar, _aka_ Kauai et Oahu. Personnellement, j'adore !
Surtout que les tempêtes, élément météorologique récurrent dans la saga, n'ont
pas été oubliées. Les environnements intérieurs en revanche sont bien pauvres,
mais peut-être est-ce une esthétique voulue ?
Avec leurs couleurs prononcées, vives, les traits arrondis, les personnages sont
clairement identifiables en tant qu'éléments de série animée, je dirai presque
typiques des studios DreamWorks. Au contraire des dinosaures, empreints d'une
esthétique plus dure, plus "acérée", et qui se veut plus réaliste.
Le mélange des genres est un pari risqué, mais je trouve qu'il est réussi, et
cela grâce à un autre parti-pris risqué : les animations. Les dinosaures ont des
mouvements presque robotiques, saccadés, comme s'ils avaient été animés en
_stop-motion_. S'ils avaient été plus fluides, on aurait probablement eu
l'impression d'une fusion malhabile, voire grotesque.
À noter d'ailleurs que si on avait appliqué aux dinosaures la même esthétique
qu'au reste de la série, ils auraient complètement perdu leur potentiel d'effroi
et on se serait retrouvé avec une série clairement orientée vers les plus
jeunes. Cette "anomalie" d'esthétique permet de toucher un public plus large que
les enfants.
## Cible
Ce qui me permet d'embrayer sur la cible de la série. À mon sens, elle n'est pas
vraiment faite pour les plus jeunes, mais s'adresse plutôt aux adolescents, et
à certains adultes (dont je fais définitivement partie !).
Malgré l'absence de nudité, malgré l'absence de langage grossier, certains
messages passés dans cette série ne sont pas à la portée d'enfants. Je dirai
même que certaines situations peuvent être mal interprétées par des enfants (et
probablement par certains adultes aussi...). Je rappelle quand même que certains
animaux, existants ou non, sont maltraités. Faire d'un dinosaure en particulier
(ici, Toro) le _nemesis_ des héros de l'histoire est un exercice dangereux qui
a des conséquences - parfois inattendues.
Typiquement, c'est un gros carnivore. _Tyrannosaurus Rex_ dans _Jurassic Park_,
l'hybride _Indominux Rex_ dans _Jurassic World_, mais on peut aller chercher
dans d'autres films de _science fiction_, voire dans d'autres types d'oeuvres,
probablement de toute époque, y compris les plus anciennes. Le mangeur de viande
est _toujours_ l'anti-thèse du ou des héros. Dans l'imaginaire collectif, il n'y
a pas de place pour la chaîne alimentaire, uniquement pour la hiérarchie, et
l'humain est _toujours_ au sommet. Dans l'imaginaire collectif, le carnivore est
un vilain tout pas beau qui tue pour le plaisir. Et dans l'imaginaire collectif,
l'humain est le seul à pouvoir rivaliser... Notez l'ironie.
Donc, quand, dans une oeuvre traitant de dinosaures, on montre un carnivore qui
tue pour son bon plaisir, on imprime dans l'esprit des enfants (voire de
certains adultes, encore une fois) l'idée que toute son espèce est vicieuse,
cruelle, à éliminer. Or, la réalité est probablement bien différente.
Le cas de _Indominus Rex_ dans _Jurassic World_ est à la fois spécifique et
universel : c'est un _hybride_ créé par la génétique, manifestation concrète de
l'arrogance des humains vis-à-vis de la science qui, quand elle est utilisée à
mauvais escient, produit des abominations. _Indominus Rex_ est une erreur de
parcours, une chimère profondément malveillante, incarnant la déviance humaine.
Elle ne tue pas pour s'alimenter, elle tue pour le sport, et c'est explicitement
mentionné en ces termes par Owen Grady dans _Jurassic World_ (ce qui rappelle
furieusement certaines pratiques humaines, d'ailleurs). Contextuellement,
combattre et éliminer une telle entité est cohérent, rédempteur, et positif :
on ne tue pas une créature vivante, représentant une espèce existante ou ayant
existé, respirant l'air du monde grâce à l'évolution ; on se bat contre nos
propres faiblesses, nos propres démons, et, dans _Jurassic World_, on le fait
avec l'aide des autres dinosaures parce que, tout bad-ass qu'est Chris Pratt, il
ne peut vaincre _Indominus Rex_ (ou l'_Indoraptor_ dans _Fallen Kingdom_
d'ailleurs) seul.
Or, placer Toro (_Carnotaurus_) comme _nemesis_ du groupe principal me pose
problème pour cette raison. _Carnotaurus_ n'est pas une création humaine, et par
conséquent, cet animal ne représente pas la malveillance de l'humain. C'est un
dinosaure qui cherche à s'alimenter, pas à détrôner l'humain de sa position
dominante. Qui plus est, il est défait par des enfants, pratiquement sans l'aide
d'autres dinosaures (en tout cas, pas dans la même mesure que dans _Jurassic
World_...).
Il y a une marge entre une situation de survie qui implique forcément se battre
et, éventuellement, tuer ou être tuer, et une succession de situations où on
joue avec l'adversaire. J'ai le sentiment que dans _La Colo du Crétacé_, les
enfants "jouent" avec Toro : le scénario fait revenir Toro plusieurs fois à la
charge, malgré ses défaites, parfois violentes. Il me semble que, dans "la vraie
vie", un prédateur qui se fait encorner une ou deux fois préfèrera battre en
retraite et choisir une autre cible plutôt que risquer d'être blessé de façon
plus permanente, à moins d'être réellement en manque de nourriture, ce qui
semble peu probable sur Isla Nublar...
Il en résulte que l'on envoie un message fallacieux au spectateur, dont la
réthorique simplifiée me dérange dans la mesure où l'on s'imagine que cette
série s'adresse avant tout aux enfants :
- le grand méchant pas beau est un carnivore
- le carnivore veut manger l'humain
- il faut tuer le carnivore
Il faut faire preuve d'un peu de réflexion pour apprécier tout cela, et je pense
que la majorité des enfants n'en sont pas capables - ni une partie des adultes.
Dans un tout autre registre, il y a un élément qui me semble à la fois important
et embêtant. On a le sentiment qu'il y a un cap, vers les 15 ans, à partir
duquel les dinosaures ne sont plus qu'un souvenir d'enfance. Comme s'ils
n'étaient appréciés que des enfants. Comme s'ils perdaient de leur intérêt à
l'âge adulte. Je n'aime pas l'idée de présenter les choses de cette façon,
d'autant que c'est diamétralement opposé au discours de toute la saga depuis
_Jurassic Park_.
Si on perd rapidement l'intérêt pour la série, on reste sur cette idée que "les
adultes ne s'intéressent plus aux dinosaures". C'est d'autant plus erroné que
Spielberg est lui-même friand de paléontologie, comme en témoignent ses autres
productions, _Jurassic Park_ évidemment mais aussi _Le Petit Dinosaure et la
Vallée des Merveilles_ (où le _nemesis_ de l'histoire était déjà un méchant
viandosaure...). Heureusement, la deuxième saison vient corriger cela.
## Son
Les effets sonores sont plutôt bons, et la synchronisation avec les animations
est positivement étonnante. Toutefois, l'ambiance manque un peu de profondeur :
certaines scènes auraient mérité un meilleur usage des enceintes arrières pour
augmenter leur intensité et les effets de surprise.
En ce qui concerne les musiques, mon avis est en demi-teinte. Les musiques
"héritées" sont absolument irréprochables. Je défie quiconque de critiquer le
monstre sacré qu'est John Williams (qui a signé les musiques de _Star Wars_,
_Indiana Jones_, _Jurassic Park_). De même, je considère Michael Giacchino (qui
m'a été révélé par _LOST_) comme rien de moins que son successeur spirituel : il
a été capable de composer une bande originale pour _Jurassic World_ digne de sa
préquelle. Le thème principal de _Jurassic World_ me reste autant dans la tête
que celui de _Jurassic Park_, et je considère cela comme une prouesse.
En revanche, les pistes originales composées par Leo Birinberg me semblent bien
en retrait. Tantôt trop effacée, tantôt omniprésente, sa musique ne me donne
aucune émotion. Elle est loin d'être mauvaise, juste mal dosée, et clairement
pas du même calibre que celle de Williams et Giacchino. Ils ne jouent pas dans
la même cour, et c'est aisément discernable même pour une oreille naïve.
## Réalisme
Un point cher à tout le monde, qu'on soit partisan ou détracteur, le réalisme a
toujours été un sujet sensible, depuis _Jurassic Park_.
Ce qui a fait le succès de _Jurassic Park_, et relativement oublié depuis, est
le réalisme scientifique au vu des connaissances en paléontologie de l'époque
(en l'occurrence, début des années 1990).
Ces connaissances ont évolué, et évoluent particulièrement vite depuis une
dizaine d'années, notamment en ce qui concerne l'esthétique des dinosaures. Un
des consensus actuels porte par exemple sur la présence de plumes sur la tête
des vélociraptors.
Alors, pour être clair, et en espérant que ce soit une fois pour toutes, je
ferai comme tous les autres partisans de _Jurassic World_, et je donnerai les
citations suivantes :
> _Jurassic World_ [est] « scientifiquement inexact » parce quil s'agit d'un
> « film de science-fiction, pas [d']un documentaire
>
> --- Colin Trevorrow, Sunday Times le 10 mai 2015
C'est le fameux Dr Wu qui enfonce le clou dans _Jurassic World: Fallen Kingdom_
:
> Ces dinosaures seraient très différents si leur code génétique était pur, mais
> vous n'avez pas demandé qu'ils soient purs, vous avez demandé plus de dents !
Certes, on a perdu le réalisme scientifique qui a fait la primeur de _Jurassic
Park_, mais je ne suis pas choqué par une esthétique qui n'a pas évolué
davantage que les différentes teintes des peaux des animaux. Surtout que dotés
de plumes, il faut reconnaitre que les vélociraptors perdraient tout pouvoir de
terrifier les enfants comme les adultes :
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N'oublions pas que, contextuellement, ces dinosaures ont été ramenés à la vie
par des moyens scientifiques dont nous ne disposons pas à l'heure actuelle.
Ainsi, même sans prendre en compte l'aspect commercial "Je veux plus de dents",
on doit s'attendre à certaines différences.
En revanche, un manque de réalisme qui me fait franchement mal aux yeux, c'est
lorsqu'une oeuvre qui se veut globalement réaliste prend des libertés avec les
lois de la physique. Mais j'ai tendance à pardonner ce type d'écarts à une
oeuvre d'animation, parce que c'est un domaine où retranscrire correctement les
lois de la physique reste compliqué.
Je pardonne moins avec l'évidence des libertés prises. Par exemple, courir dans
un escalier en descendant me semble peu probable. De même que se casser
systématiquement la gueule dans la jungle quand un truc te poursuit...
En ce qui concerne le réalime comportemental, j'ai quelques réserves. J'ai envie
de croire à une amitié possible entre un dinosaure et un humain. Je sais
cependant que l'amitié entre le chien et l'Homme a pris - beaucoup - de temps,
quelques milliers d'années selon certaines sources. Or, ici, cette amitié est
née de façon beaucoup plus prompte. Mais d'un autre côté, que ce soit dans
_Jurassic World_ ou _La Colo du Crétacé_, l'humain a extrait l'animal avec
lequel il va se lier de son oeuf, au plus tôt de son existence, ce qui confère
sans aucun doute un avantage dans ce processus.
Quand au réalisme des situations, je suis également partagé. J'ai envie de ne
pas y penser parce que je suis face à une oeuvre de fiction, mais en même temps,
considérant notre société moderne, je doute qu'une demi-douzaine d'adolescents
abandonnés sur une île sans autres humains et où prolifèrent des dinosaures
aient la moindre chance de survivre, malgré le déploiement de toute leur
sagacité (c'est surtout ça, d'ailleurs, qui me pose un problème en terme de
réalisme...).
## Conclusion
Au final, je demandais à _La Colo du Crétacé_ ce que je demande à toute oeuvre :
me faire rêver, fantasmer, et cette série y parvient, elle est donc simplement
réussie. Je fantasme de ce parc d'attractions, de ce zoo de riches, sur cette
île magnifique où je m'établirais bien si j'en avais la possibilité, non
seulement pour la présence des dinosaures, mais aussi et surtout pour l'absence
des humains !
Malgré les reproches que j'ai pu faire à la première saison, la seconde m'a
capté, la troisième m'a fidélisé, et j'attends avec impatience la suite des
évènements.
<x-spoiler>
Surtout qu'une nouvelle trahison se profile à la fin de la troisième saison...
</x-spoiler>
Mais surtout, pour me garder en tant que spectateur, il va falloir aboutir à une
véritable fin à un moment donné, et pas me laisser sur un _cliffhanger_, surtout
qu'un lien devrait être fait tôt ou tard avec les évènements de _Jurassic World:
Fallen Kingdom_ et le très attendu _Jurassic World: Dominion_.