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2024-04-12 21:58:27 +02:00

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Raw Blame History

Vous ne connaissez probablement pas Alphabet si vous ne vous intéressez pas à lactualité informatique. Mais, vous connaissez sa principale filiale et quelques-uns de ses outils. Vous travaillez sûrement avec ceux-ci quotidiennement. Je veux parler de Google.

Bref historique non objectif

Google a été fondée le 4 septembre 1998 par Larry Page et Sergueï Brin. Ce nest quen 2015 quAlphabet a été créée, en vue dune restructuration de lentreprise. Google devint alors une filiale dAlphabet, ce qui na fondamentalement rien changé dans les activités des entreprises du groupe.

Notons légo sans bornes des fondateurs quant au choix du nom de lentreprise :

Le nom de la société Alphabet a été choisi car il représente le langage, linnovation la plus importante de lhumanité qui est au cœur de loutil de recherche Google

Daucun me diront quils peuvent se le permettre. Bref.

Les entreprises du groupe

Au-delà de Google et ses marques associées (YouTube, GMail, etc), Alphabet a dautres cordes à son arc.

Nest Labs

Nest Labs vend des “solutions” domotiques. Un rapide coup dœil sur le site officiel nous indique quen réalité, leur catalogue ne contient quune caméra, un détecteur de fumée et un thermostat. Un catalogue pauvre, donc, pour rester poli. En revanche, un certain nombre de partenaires vendent des produits compatibles.

Nest Labs (sous légide de Google) a acquis lentreprise Revolv en octobre 2014. Ces derniers commercialisaient un hub destiné au contrôle de produits domotiques, tels que des ampoules, des portes ou des alarmes. En mai 2015, Google a estimé que ce produit nétait plus digne dintérêt, et la ”délibérément brické”. Un produit vendu près de 300 dollars.

Comme ce hub utilisait le cloud pour son fonctionnement, couper son accès au cloud revient à détruire le produit. Et comme il sagit dun produit permettant de gérer certains composants de sécurité de la maison, cela revient à négliger la sécurité des utilisateurs.

Si Google a décidé de supprimer ce produit et les services associés, cest parce quil nétait utilisé que par un “nombre limité” de personnes. Considérant cela, on peut comprendre la stratégie de lentreprise. Mais, on peut également comprendre la colère des utilisateurs, aussi peu nombreux soient-ils, qui ont dépensé 300 dollars pour rien, et ne reverront jamais leur argent. Argent désormais dans les caisses dAlphabet.

Alphabet a donc un pied dans la maison des particuliers. Malgré la déconvenue du Revolv, lapplication Nest a été téléchargée entre 500 000 et 1 000 000 de fois sur Google Play et jouit dune réputation positive.

Je considère donc quau moins 500 000 personnes nont pas conscience que leur thermostat, leur ampoule, leur caméra de surveillance, envoie des données à Google, uniquement pour leur permettre de gérer leur matériel personnel, chez eux, depuis un smartphone, et que si un jour, Google décide de clôturer ces services, ils pourront juste pleurer sur leurs jouets devenus inutilisables. Simplement parce quils nont pas compris que le service que leur propose Google nexiste que parce que Google le veut bien.

Mais, cest Google, alors cest forcément bien.

Calico et Verily

Ces deux entreprises veulent notamment, respectivement, “tuer la mort” et soigner le diabète. Des projets pour le bien de lhumanité ? Oh, vous ne pouvez pas être naïfs à ce point…

Tout le monde le sait, le marché de la santé est on ne peut plus lucratif. Surtout dans un pays dont lobésité morbide est aussi prépondérante. Et, qui dit obésité dit (le plus souvent…) diabète.

Or, quand le groupe français Sanofi annonce son partenariat avec Google, cest pour profiter des technologies développées par Verily. Et du coup, surveiller en temps réel et à distance la glycémie de ses propriétaires, grâce aux produits issus de Verily et notamment leur bracelet connecté. Et accessoirement, revenir dans le vert :

le chiffre daffaires de sa division diabète affiche un recul de 3,5% au premier semestre 2015 […] En salliant avec Google, Sanofi poursuit lobjectif daméliorer le controle du diabete, afin de développer les ventes du Lantus […] le Français pourra ainsi exploiter les milliards de données de Google afin de mieux cibler les populations concernées

Google, un véritable bienfaiteur, évidemment.

Quant à Calico et son ambition démesurée de “tuer la mort”, il ny a quun pas à franchir pour dire que moins il y a de morts, plus il y a de clients. Mais, on va maccuser de conspirationnisme.

Google Fiber

Quand on phagocyte les données de millions (milliards ?) dinternautes, la bande passante revient cher. La solution ? Fournir Internet à une partie des utilisateurs. Cest aussi ce que fait facebook dailleurs.

Du coup, il naurait jamais été aussi rentable daspirer la vie privée des gens. Et de leur envoyer des pubs soigneusement ciblées, grâce à…

… X

X, anciennement Google X, est lentreprise notamment responsable dAlphaGo et des “pilotes” des Google Cars. Cest elle qui produit les intelligences artificielles utilisées par Google (pas seulement le moteur de recherche).

X, cest un peu le centre de Recherche & Développement de Google. Cest ici que les Glass ont été créées. Cest également ici que sont envoyées les données collectées, afin daméliorer leurs IAs. Enfin, “une partie” des données collectées, pour améliorer la “pertinence de la reconnaissance vocale”.

Google Capital, GV, Jigsaw

Capital et GV sont des business angels. Ces entreprises sont destinées à injecter des fonds dans les capitaux dautres entreprises.

Si Capital sintéresse surtout aux compagnies financières, aux assurances et aux laboratoires (pas du tout contradictoire…), GV a investi dans un large panel dactivités différentes.

Ainsi, outre plusieurs entreprises publicitaires, on découvre quils ont investi dans Silver Spring Network (fournisseur de services de réseau électrique intelligent), partenaire de… Nest Labs, qui a dabord été financé par GV avant dêtre racheté par Google, et de Toyota pour qui ils ont fourni des bornes de recharge pour la Prius, qui se trouve être justement un des modèles utilisés par les… Google Cars, exactement.

On trouve aussi dans la liste le très controversé Uber.

Mais on trouve également un grand nombre dentreprises IT, évidemment. Periscope, Slack, Pocket (dont lintégration dans Firefox a été largement condamné), Optimizely, CoreOS, et bien dautres encore.

En ce qui concerne les services de réseau électrique intelligent, cest juste de loptimisation financière. Injecter de largent dans une entreprise partenaire dune filiale, ce nest rien de bien méchant.

Par contre, injecter des fonds dans des assurances dun côté, et des laboratoires de lautre, cest de lhypocrisie capitaliste franchement malsaine.

Le cas des entreprises IT sera traité un peu plus loin parce quil représente un gros problème, suffisamment insidieux pour quil échappe à tout le monde.

Enfin, Jigsaw est officiellement un incubateur technologique, mais… je vous invite à lire When Google Met Wikileaks, le livre de Julian Assange. Il traite notamment de Jared Cohen, de son étonnante carrière, et de son rôle dans Jigsaw.

Personne ne le connaît. Il est pourtant dans le top 100 des personnes les plus influentes du monde selon le Time Magazine.

Bien quofficiellement il travaille à lanti-radicalisation, un certain mystère lentoure, notamment au sujet de ses activités en Afghanistan en 2009, en plein Cablegate.

Alors pourquoi en faire le président dun think-tank alors quil est carrément issu du milieu politique ? Peut être pour renverser des régimes politiques avec laide de la technologie. En fait, avec Jigsaw, Google fait de lactivisme, et veut protéger les lanceurs dalertes, tels que Julian Assange, en loccurrence.

Le problème ici est de mélanger technologie, politique et business. Car sous ses airs dentreprise bienfaitrice, Jigsaw sert dautres desseins dont on ne connaîtra peut-être jamais la teneur réelle, mais probablement financiers, on sen doute.

La technologie

Eric Schmidt, président exécutif du groupe, est parfois perçu comme le “ministre des Affaires étrangères” de Alphabet. Il est parvenu à créer un réseau politico-commercial suffisamment puissant pour mettre lentreprise à labri des déconvenues (même lorsquelle sexpose à des problèmes juridiques embêtant).

Mais, le véritable coup de maître de lentreprise est dêtre parvenue à se parer dune aura à toute épreuve. Car alors que chez les geeks, on cherche à se passer de Google, pour la grande majorité du monde, Internet, cest Google.

Malheureusement, cest aussi le cas chez les développeurs. Et les experts en sécurité. Et les technologies réseau. Et la virtualisation/containerisation. Bref, dans tous les domaines liés à linformatique. La capacité financière colossale de Alphabet leur permet dattirer à eux toutes sortes dexperts, de jeunes passionnés, qui ont de bons projets et dexcellentes capacités pour les concrétiser. Mais, cest avant tout largent qui les attire tous. Rares sont ceux réellement motivés par la technologie en elle-même. Travailler pour Google, ou avec Google, ou se faire racheter par Google, est un accomplissement. Ne pas utiliser les outils de Google est mal perçu, conduit à lostracisation, et peut réduire les possibilités dembauche.

Et, comme Google est omniprésent, omniscient, omnipotent, il est pratiquement inévitable sur Internet. Sans parler du moteur de recherche, ni de GMail, ni de YouTube. Personnellement, je nutilise rien de tout ça. Je parle du navigateur Chrome, des tablettes et smartphones Android (que je nutilise pas non plus), de la publicité et des liens sponsorisés, des outils de développeurs et de techniciens, comme Angular, SPDY intégré dans HTTP/2, mais aussi dans nos systèmes dexploitations et notamment GNU-Linux, etc.

La multiplication de toutes ces technologies Alphabet, partout dans les PC et périphériques mobiles, tisse une toile bientôt inextricable. Mais, malgré les années passées à rabâcher quil faut se détourner de Google et exploiter les alternatives, on continue de scier la branche sur laquelle on est assis, en étant persuadés de faire le bon choix. Or, pour toutes les raisons évoquées dans cet article, pour toutes les raisons déjà évoquées maintes et maintes fois, ici et ailleurs, ce choix est le mauvais. Il la été dès le début, il lest toujours, et le sera encore demain.

Conclusion

Si Microsoft était détesté dans les années 90 (et lest toujours), Google/Alphabet est incontestablement lentreprise la plus détestable à ce jour. Il aura fallu une dizaine dannées à Microsoft pour se faire détester pour ses manquements à la vie privée. Google la piétine constamment et est toujours acclamé pour ça, presque vingt ans après sa création. Une véritable prouesse ! Même Apple a tenu tête au FBI, alors que lon ne les a jamais vraiment encensés pour protéger la vie privée de leurs utilisateurs…

Les concurrents de Alphabet sont peu nombreux sur certains marchés clés, comme la téléphonie mobile où la perte de Microsoft nest pas catastrophique, mais où celle dApple le serait, ou les navigateurs Web, où Mozilla peine à maintenir Firefox. Il est capital que ces alternatives existent, et que dautres voient le jour, faute de quoi Internet ne sera plus réduit quà pas grand-chose : beaucoup de publicités, et au milieu, ce que Google veut bien vous laisser voir en fonction de qui vous êtes. Il ny aura plus la place pour la découverte et la nouveauté. Juste une zone de texte pour votre empreinte de carte bancaire et un bouton vert “Acheter”. Cest vraiment ça que vous voulez ?