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Émancipation ou asservissement ?

Après Darwin, la science s'est enfin débarrassée des limites arbitraires imposées par le christianisme. Malheureusement, cette émancipation a très vite été freinée, stoppée, et inversée par notre dépendance à l'argent, redoublée pendant l'entre deux-Guerres, et encore aggravée à la sortie de la Deuxième Guerre Mondiale. L'industrialisation a prouvé sa toute-puissance en temps de guerre, mais aussi après: le consumérisme, né de la peur de manquer, nous a orienté vers une société où la science est un produit. Libérée de la religion, aussitôt enchaînée par le capitalisme, quand elle ne le sert pas directement.

Nous en sommes à vouloir quitter la Terre ou faire de la géo-ingénierie pour "ensemencer les nuages". Et ce n'est même pas une pratique nouvelle: l'ensemencement des nuages par l'iodure d'argent ou le chlorure de sodium (du sel) se pratique au moins depuis 1946, avec pour but de forcer la pluie et de lutter contre la grêle. En France, par exemple, on utilise la méthode par iodure d'argent depuis 2014, au dessus des zones de production de vins [@midi_libre_face_2014], mais la question de la manipulation des nuages faisait déjà débat en 2005: la ministre de l'écologie et du développement durable d'alors, Nelly Olin (1941 - 2017), répondait: "Il n'existe aucune preuve scientifique à charge ou à décharge dans ce dossier."[@senat_lutte_2005]. Le problème est que le point de vue adopté est économique et anthropocentré: on sait que l'iodure d'argent est extrêmement toxique pour les organismes aquatiques. Il est, en revanche, très bon pour l'économie: il contribue à la préservation des vignobles français en cas de grêle...

Une étude déjà publiée en 1973[@us_department_of_the_interior_hungry_1973] aux États-Unis mentionne pourtant les effets délétères de l'iodure d'argent: "altération de la végétation, changements dans la population de la faune, changement hydrologique, accumulation d'iodure d'argent et argent libre, des effets inhibiteurs sur: le sol, les micro-organismes et invertébrés aquatiques, et sur les plantes terrestres"[@contributeurs_wikipedia_ensemencement_2021]. Plus récemment, un rapport sur la modification du climat publié par l'Organisation Météorologique Mondiale en 2010 conclue: "L'usage d'agents tels que l'iodure d'argent pour ensemencer des cumulus super-froids a produit peu de résultats concluants"[@world_meteorological_organization_executive_2010].

Mais il y a un point sur lequel les études ne s'attardent pas: disperser de l'iodure d'argent nécessite en premier lieu sa production, qui commence par l'extraction d'argent et de potassium depuis des mines (rappelons, à toute fin utile, que le Mexique, la Chine et le Pérou sont les principaux producteurs mondiaux d'argent, et que dans le même temps, on déplore l'érosion d'une biodiversité en outre exceptionnelle au Mexique et au Pérou, notamment au profit de l'agriculture et des mines[@seibt_ruee_2013]...). On produit ensuite du nitrate d'argent et de l'iodure de potassium, qu'on mélange pour produire l'iodure d'argent. Tous étant des composés considérés comme toxiques, voire hautement toxiques, et polluants. Sans parler de son épandage qui fait appel à un avion, lequel produit de la pollution, qui contribue au réchauffement climatique, source probable de l'augmentation de la fréquence et de la violence des tempêtes...[@buis_how_2020]

Nous demandons à la science de "résoudre" des "problèmes" naturels. Nous avons passé deux mille ans de notre histoire à opposer la religion à la science, et maintenant, nous demandons, schématiquement, à la science de s'opposer à Dieu. Que penser alors de la biologie de synthèse, discipline visant rien de moins que la production de nouvelles espèces totalement synthétiques, et notamment portées par les industries pharmaceutiques [@contributeurs_wikipedia_roche_2020] et informatiques ? On peut se dire que l'ingénierie du Vivant est une discipline de l'avenir, qui offre des perspectives sur lesquelles des gens comme moi fantasment depuis le Jurassic Park de Michael Crichton paru en 1990 et son adaptation cinématographique de 1993. On peut aussi se dire que c'est par la biologie synthétique qu'on se dotera peut-être des capacités qui nous manquent - et que je détaillerai plus tard. En fait, selon moi, le problème ne tient pas tant à la discipline elle-même qu'à ce qui gravite autour d'elle: le spectre de l'argent et ses dérives, tels que les brevets sur le Vivant [@contributeurs_wikipedia_brevetabilite_2020] ; la mégalomanie inhérente, et déjà incarnée par Calico[@contributeurs_wikipedia_calico_2021], dont la maison-mère n'est autre qu'Alphabet, anciennement Google, et dont l'ambition est de vaincre la Mort ; les potentiels usages martiaux - rappelons que la physique nucléaire, appelée à fournir de l'énergie à tous et améliorer notre qualité de vie, a aussi conduit à la création de la bombe atomique ; et, probablement la problématique la plus grave, le remplacement du Vivant "naturel" par le Vivant "synthétique", et tout ce que cela implique en terme d'éthique et de santé publique... Mais que seront ces considérations face à notre dépendance à l'économie et au commerce ? Parviendrons-nous à faire preuve de bon-sens ? Il est intéressant de noter que notre Office Parlementaire d'Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques1 s'interrogeait déjà en 2011 des dérives potentielles d'une telle technologie qui justifieraient un encadrement, et soulignait un positivisme de la part des personnes sondées au sujet de l'acceptation sociale de cette discipline[@fioraso_office_2011]. Malheureusement, l'Histoire n'abonde pas dans le sens d'un usage raisonné des technologies...

La science ne devrait servir qu'à expliquer le monde qui nous entoure ; elle ne devrait pas interagir avec lui. Or, lui demander de provoquer la pluie, stopper la grêle, "améliorer" le Vivant, c'est outrepasser cette règle, en plus en utilisant l'économie et/ou la santé comme levier, et, à mon sens, c'est une grave erreur qui a déjà provoqué des catastrophes et en provoquera d'autres que l'on n'anticipe peut-être pas encore.