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Les philosophes antiques

Il est fascinant de voir à quel point les philosophes de l'Antiquité étaient évolués, et ce dans pratiquement tous les domaines. Il est non moins fascinant de se rendre compte à quel point nous avons régressé dans ces disciplines au fil des siècles - en grande partie à cause de la religion, mais aussi de nos valeurs sociales modernes - et il faudra attendre le vingtième siècle pour que les sciences s'affranchissent de certains dogmes qui limitaient leur avancée, avant que d'autres dogmes ne les prennent en otage...

Leurs hypothèses étaient, bien sûr, "maladroites", selon nos connaissances actuelles, plus de deux mille ans plus tard. Mais beaucoup d'entre elles étaient plus ou moins correctes. Les intuitions (ou même parfois les observations) des Grecs étaient justes, ou en tout cas, bien inspirées. Il faut dire que, idéalement situés, ils bénéficiaient d'échanges culturels importants avec les civilisations avoisinantes, en particulier avec l'Égypte qui avait déjà bâti ses pyramides (dont on ignore encore aujourd'hui les secrets de leur conception tant elle était précise), hôtesse de la ville d'Alexandrie, où Pythagore, Thalès et Euclide vinrent s'abreuver des connaissances locales, notamment en géométrie et en astronomie. En outre, par l'intermédiaire des peuples musulmans, mais dans une moindre mesure, le monde occidental d'alors échangeait également avec la Chine.

Par exemple, Démocrite[@contributeurs_wikipedia_democrite_2020] (460 - 370 av. J.-C.), doté d'une inextinguible soif de connaissances et donc d'une culture générale extraordinaire, devinait déjà l'existence de l'atome il y a près de deux mille quatre cents ans. Il croyait également en une cosmologie admettant qu'une infinité de mondes existent au sein d'un ou plusieurs univers, cosmologie déjà suggérée deux cents ans auparavant par Anaximandre [@contributeurs_wikipedia_anaximandre_2020] (610 - 546 av. J.-C.), qui cherchait par ailleurs à expliquer l'origine des choses et les phénomènes météorologiques sans intervention divine. En outre, contemporain de Démocrite, c'est déjà vers 360 av. J.-C. que Socrate postulait la sphéricité de la Terre dans le Timée [@platon_timee_nodate] de Platon.

Image #8: Le monde selon Anaximandre.

En ce temps-là, le monde connu était limité aux terres enveloppant la Mer Méditerranée (d'où son nom, le latin mediterraneus signifiant "au milieu des terres") et la Mer Noire. Anaximandre était d'ailleurs considéré comme l'un des premiers cartographes. Il se figurait le monde "moderne" de l'époque, civilisé et évolué, comme un disque de terre entouré d'océan, et divisé en trois zones:

  • L'Europe était délimitée par la Mer Méditerranée, la Mer Noire et le Phase (aujourd'hui nommé Rioni, principal fleuve à l'ouest de l'actuelle Géorgie)
  • La Lybie (l'actuel continent Africain), qui comprenait notamment lÉgypte
  • L'Asie, séparée de la Lybie par le Nil à l'est et de l'Europe par le Phase au nord-est

Dans cette représentation, Jérusalem se trouve près du centre du monde. Son histoire[@contributeurs_wikipedia_histoire_2021-1], complexe et peuplée de conquêtes successives, est trop riche pour que je l'aborde en détails ici. Notons simplement qu'au cours du premier siècle, c'est une ville prospère: issu de l'Empire Romain, Hérode le Grand y est au pouvoir, et rénove et étend le Second Temple de Jérusalem, où débutera la narration du Nouveau Testament de la Bible Chrétienne.

Bien que la date et les circonstances exactes sont toujours sujettes à débat, on concède toutefois que c'est à cette période, vers le milieu du premier siècle, que le christianisme commença à rayonner tout autour de la Méditerranée [@contributeurs_wikipedia_histoire_2021-2]. Son adoption est rapide et massive, grâce à la position géographique privilégiée de Jérusalem, accessible par des routes terrestres et maritimes déjà bien connues: depuis la puissante cité-état de Tyr, par la mer jusqu'à Milet, berceau de Thalès et d'Anaximandre, puis Troie, avant de rejoindre Athènes à l'ouest et Antioche à l'est. Tel fut le trajet de Paul de Tarse[@contributeurs_wikipedia_paul_2021], d'abord persécuteur des disciples de Jésus avant d'en devenir un apôtre auto-proclamé mais non reconnu, lors de ses voyages pour diffuser le christianisme.

Image #9: Le troisième voyage missionnaire de Paul de Tarse.

Les plus pauvres et les esclaves trouvent dans la religion chrétienne le réconfort de la foi. Elle leur apporte un soutient - y compris financier - rendu nécessaire par les inégalités sociales. Ils ne se sentaient pas touchés par les philosophes, mais l'ont été par la religion qui s'adressait directement à eux.

Au cours des siècles qui suivirent, le christianisme devint de plus en plus puissant. L'Empire Romain en fit sa religion officielle à la fin du quatrième siècle, et en 600, il s'étendra jusqu'en Angleterre. Les anciennes théories scientifiques tombèrent dans l'oubli au profit du dogme de la Création du monde par Dieu, et de la nature à la fois divine et humaine du Christ, créant de fait le clivage entre le Règne Humain et le Règne Animal. Un dogme qui persistera jusqu'à nos jours, et qui réprimera - souvent dans le sang - toute idée incompatible, telles que la sphéricité de la Terre, le monde héliocentrique, la parenté de l'Homme avec tout animal et surtout le singe, l'apparition et l'extinction d'espèces, etc.

Cette adoption est rapide et vigoureuse: l'empereur Justinien, qui "se conçoit comme un empereur chrétien, messager de Dieu, chargé de faire de son empire terrestre l'équivalent du royaume céleste" [@contributeurs_wikipedia_justinien_2020], fait fermer les écoles philosophiques d'Athènes en 529 au cours de la translatio studiorum [@contributeurs_wikipedia_translatio_2019]. Les philosophes héritiers de Platon et de Aristote sont contraints de se réfugier, notamment dans la Perse de Khosrô I^er^. C'est probablement en partie grâce à ce "transfert des études" que la philosophie aristotélicienne a pu survivre jusqu'à nos jours. Justinien sera également à l'origine d'un code qui porte son nom, "obligeant notamment les païens à être baptisés".

Toutefois, la culture ainsi perdue par l'occident chrétien sera récupérée et développée par l'orient musulman. Les centres intellectuels se trouvent désormais à Damas, puis Bagdad. Ce n'est que bien plus tard, lors de la renaissance intellectuelle du XII^ème^ siècle, que cette culture oubliée refera parler d'elle en Europe latine.