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Richard Dern 2021-05-31 22:33:13 +02:00
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@ -0,0 +1,2 @@
build
.DS_Store

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bin/build.sh Executable file
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@ -0,0 +1,25 @@
#!/bin/bash
ROOT="$( cd "$( dirname "${BASH_SOURCE[0]}" )/../" && pwd )"
TARGET="$ROOT/build"
CONTENT="$ROOT/content"
COMMON_OPTIONS="--defaults "$ROOT/defaults.yaml""
FILENAME="l-humain-cette-espece-primitive"
EPUBCHECK="/opt/epubcheck-4.2.4/epubcheck.jar"
if [ -d "$TARGET" ]; then rm -rf "$TARGET"; fi
hunspell content/**/*.md
# epub
mkdir -p $TARGET/epub
pandoc $COMMON_OPTIONS -o "$ROOT/build/epub/$FILENAME.epub"
java -jar $EPUBCHECK "$ROOT/build/epub/$FILENAME.epub"
# html
mkdir -p $TARGET/html
pandoc $COMMON_OPTIONS -o "$ROOT/build/html/$FILENAME.html"
# pdf
mkdir -p $TARGET/pdf
pandoc $COMMON_OPTIONS -o "$ROOT/build/pdf/$FILENAME.pdf"

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@ -0,0 +1,16 @@
# Présentation {epub:type=foreword}
Je suis autodidacte, passionné de toutes choses et notamment de sciences, en
particulier l'informatique, la (paléo)anthropologie, la physique, l'histoire.
J'ai tenté de trouver un juste milieu entre la vulgarisation et la technicité,
sans toutefois aller trop loin. C'est un exercice difficile, probablement pour
tous, mais particulièrement pour moi qui suis neuro-atypique. Il me plaît de
croire que le lecteur saura apprécier cet effort.
Ce livre est publié sous licence *Creative Commons Attribution - Partage dans
les Mêmes Conditions 4.0 International*.
* Texte de la licence: <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/legalcode.fr>
* Obtenir les sources: <https://richard-dern.fr/livres/>
* Me contacter: <l-humain-cette-espece-primitive@richard-dern.fr>

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@ -0,0 +1,40 @@
# Introduction {epub:type=prologue}
Nous sommes ancrés dans des dogmes religieux, économiques et sociaux depuis trop
longtemps. Maintenant, nous nous précipitons dans l'espace et dans la
"géo-ingénierie"[^geoingenierie], poursuivis par les dégâts causés à notre
planète: nous jugeons que nous installer ailleurs est notre dernier salut. Nous
fuyons. Et nous fuyons en brûlant les étapes. Nous avons le sentiment d'avoir
franchi un seuil, et nous croyons que la seule façon d'aller au-delà, c'est de
coloniser l'espace. Nous ne réalisons pas à quel point nous sommes encore
primitifs.
[^geoingenierie]: La géo-ingénierie est l'ensemble des techniques qui visent à
manipuler et modifier le climat et l'environnement de la Terre.
[@contributeurs_wikipedia_geo-ingenierie_2020]
Nous aurions pu nous contenter de rester des chasseurs-cueilleurs, nous aurions
pu nous contenter de former des sociétés culturelles ou scientifiques, mais nous
avons choisi la religion et l'économie. Nous aurions pu continuer de vivre en
symbiose avec notre environnement au lieu de l'altérer, au point d'en avoir
anéanti une grande partie. Nous avons voulu créer des sociétés de millions
d'individus, mais nous sommes encore incapables de nous comporter décemment les
uns avec les autres, et encore moins avec les espèces qui vivent autour de nous.
En cherchant la Vie ailleurs que sur Terre, nous nous exposons à la possibilité
de découvrir des espèces plus avancées que nous. Peut-être techniquement, mais
surtout, socialement. Des espèces qui ont pu unifier leurs peuples, qui prennent
soin de chacun de leurs individus, qui n'ont aucune notion de commerce, ou
d'argent, ou de croyances, qui partagent toutes les ressources dont elles
disposent, qui n'entravent pas l'existence des autres espèces partageant leur
environnement, mais qui, au contraire, contribuent à leur évolution. Nous ne
sommes pas prêts, ni technologiquement, ni socialement, ni psychologiquement,
à rencontrer une telle espèce.
Nous avons beaucoup à faire et à devenir. Nous avons beaucoup de choses à
changer, et nous avons déjà perdu beaucoup de temps, et nous en perdons de plus
en plus, et de plus en plus vite. Nous devons réaliser ce qui nous retient dans
notre évolution, afin de nous affranchir de ces limitations. C'est ce que je
vais m'efforcer de mettre en lumière ici.
Je vous souhaite une bonne lecture.

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@ -0,0 +1,7 @@
# La place de l'Homme
Pour prétendre que l'Humain est primitif, il est crucial de rappeler qui est
l'Humain. Qui sommes-nous ? Quelle place occupons-nous dans le monde ? Depuis
quand existons-nous ? Si ces réponses peuvent sembler évidentes, elles peuvent
toutefois manquer d'exprimer leur envergure, ou de rendre compte des échelles de
temps qu'elles impliquent.

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@ -0,0 +1,198 @@
## Dans l'Arbre du Vivant
Si Aristote, au IV^ème^ siècle avant notre ère, a été parmi les premiers à
proposer une classification des espèces[@aristote_histoire_1883] contenant cinq
cent huit noms d'animaux, distinguant déjà un genre et une espèce, et supposant
déjà une certaine forme de hiérarchie, il faudra attendre 1735 pour que Carl von
Linné publie _Systema Naturae_[@von_linne_systema_1768], où il
formalise une classification du vivant, et finira par introduire la nomenclature
binomiale dans sa dixième édition. C'est à lui que l'on doit notre nom, _Homo
sapiens_.
Cette nomenclature sera encore améliorée au fil des siècles, et elle est
toujours utilisée aujourd'hui. Elle permet désormais davantage d'intermédiaires
dans la classification, et certaines espèces peuvent utiliser une notation
trinomiale. Par exemple, _Canis lupus domesticus_, le chien domestique.
La place de l'Homme dans cette nomenclature a mis un certain temps avant de
faire consensus: à la fin du XVIII^ème^ siècle, les scientifiques n'ont pas
encore abandonné les doctrines chrétiennes. Dans _Systema Naturae_, Linné ne
fait que "décrire et classer les créations divines"
[@contributeurs_wikipedia_systema_2020]. Même Buffon, dans son _Histoire
Naturelle_[@buffon_histoire_1804] datant de 1804 (pour le dernier volume) place
l'Humain à part, au sommet de la Création, "au-dessus" de toutes les autres
espèces, et il ne faudra rien de moins que la "révolution darwinienne" en 1859 -
la publication de _L'Origine des Espèces_[@darwin_origine_1870] par Charles
Darwin - pour oublier la _Scala Naturae_ linéaire utilisée jusqu'alors. On
passera d'une classification en échelle à une classification arborescente:
l'arbre phylogénétique.
Pièce majeure de la littérature scientifique tout en étant accessible à tous,
_L'Origine des Espèces_ a provoqué un bouleversement de la conception de la Vie,
ses origines, et sa diversification. Darwin théorise la sélection naturelle et
l'évolution des espèces, bousculant le dogme de la théologie naturelle alors en
vigueur, selon lequel toutes les espèces avaient été créées par Dieu, et
qu'elles ne pouvaient donc ni s'éteindre ni apparaître spontanément. La théorie
de Darwin était si avancée et si éloignée des dogmes religieux d'alors qu'elle
ne fut finalement largement admise que dans les années 1930. D'ailleurs, Darwin
attendra 1871 pour "_élargir explicitement sa théorie à l'homme_"
[@delyfer_filiation_1999] dans _La Filiation de l'homme et la sélection liée au
sexe_.
Avant cela, et puisqu'ancrés dans la chrétienté, les scientifiques admettaient
encore que l'Homme ne pouvait avoir précédé les évènements bibliques. Même l'âge
de notre Terre faisait débat. Avant que l'on puisse comprendre et utiliser la
radioactivité, découverte par Henri Becquerel en 1896, à des fins de datation,
on pensait que la Terre avait entre trois mille et soixante quinze mille ans,
même si certains auteurs se sont risqués à proposer un âge de plusieurs dizaines
de millions d'années. On doit alors comprendre la confusion des scientifiques
qui découvrirent les premiers fossiles de _Homo sapiens_ en 1823
[@museum_of_natural_history_oxford_red_nodate] et les difficultés, techniques
mais surtout sociales, pour les dater correctement.
Mais _L'Origine des Espèces_ avait initié un profond changement qui devait mener
à l'abandon définitif des dogmes religieux dans les sciences. Quand finalement,
en 1931, on a reconnu la supériorité de la datation radiométrique[^carbone14],
il n'était plus envisageable de considérer l'Humain comme une espèce à part. On
avait désormais tous les éléments en main pour le placer convenablement dans
l'arbre du Vivant:
[^carbone14]: Ce n'est qu'en 1950 qu'on a commencé à utiliser la datation au
carbone 14, mais les modèles mathématiques reposant sur la désintégration
isotopique étaient déjà reconnus plus fiables que n'importe quelle autre
méthode disponible alors.
* L'âge de la Terre se chiffrait en milliards d'années
* Les fossiles humains (et d'autres espèces) purent être datés avec précision,
et certains étaient antérieurs aux temps bibliques
* Établissant la parenté avec les primates, on admit l'existence d'autres
espèces d'Humains, notamment _Homo neanderthalensis_, l'Homme de Néandertal,
déjà découvert en 1829, mais qu'on refusait alors de considérer comme une
espèce distincte de la notre[@contributeurs_wikipedia_homme_2021]
Si nous disons encore, vulgairement et avec dédain, que l'Homme descend du
Singe, c'est en réalité un peu plus compliqué. Aristote proposait la théorie de
la génération spontanée dans son _Organon_[@aristote_organon_nodate], selon
laquelle les larves de mouche apparaîtraient spontanément sur la viande en
décomposition, les souris naîtraient dans les tas de linges sales, et les mites
sur la laine. Une théorie encore soutenue par Isidore Geoffroy Saint-Hilaire
(1805 - 1861) (à l'origine de l'éthologie, dont on reparlera plus tard) et
Jean-Baptiste de Lamarck (1744 - 1829) (qui théorisa l'évolution des espèces
juste avant Darwin). Mais elle fut finalement prouvée fausse par Louis Pasteur
au XIX^ème^ siècle: il montra, grâce au procédé de la pasteurisation, que ce
qu'on pensait alors apparaître spontanément était en fait déjà là, sous la forme
dœufs ou de germes.
> Aujourd'hui, les scientifiques s'accordent à dire que toute la vie actuelle
> découle d'une vie antérieure, qui est devenue progressivement plus complexe et
> s'est diversifiée grâce au mécanisme d'évolution par sélection naturelle
> décrit par Charles Darwin.[@contributeurs_wikipedia_origine_2021]
Techniquement, l'Histoire de l'Homme est celle de toute créature vivante sur
Terre, dont le _DACU_, le _Dernier Ancêtre Commun Universel_
[@contributeurs_wikipedia_dernier_2020]: s'il n'est pas encore clairement
identifié, on sait néanmoins qu'il est à l'origine des trois domaines du Règne
Animal dans l'arbre du Vivant: les Bactéries, les Archées et les Eucaryotes, et
qu'il est apparu il y a entre 3,3 et 3,8 milliards d'années.
Ainsi, l'arbre phylogénétique permet le classement des espèces, tout en faisant
apparaître leurs liens de parenté. Chaque "branche" de cet arbre, appelé
"clade", défini les caractéristiques des espèces qui y appartiennent.
La phylogénie spécifique à _Homo sapiens_ apparaît donc sous la forme d'une
liste de clades présentée dans le tableau suivant, du clade le plus spécifique
au plus général:
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Clade | Description |
+===================+==========================================================+
| Homo  | Nous, H. neanderthalensis, H. erectus, H. ergaster, etc. |
| | Nous sommes la dernière espèce du genre. |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Hominina  | Lignée humaine, incluant les australopithèques, les |
| | paranthropes, etc. |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Hominini  | Hominina et Panina (chimpanzés) |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Homininae  | Hominini et Gorillini (gorilles) |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Hominidae  | Homininae et Ponginae (orang-outans) |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Hominoidea  | Singes sans queue, "grands singes". |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Catarrhini  | Nez orienté vers le bas. |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Simiiformes  | Singes. Occlusion arrière des globes oculaires. |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Haplorrhini  | Nez simple: ces Animaux n'ont plus de truffe ni de |
| | vibrisses (moustaches). |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Primates  | Singes, lémuriens |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Euarchontoglires | Primates, rongeurs, toupayes |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Boreoeutheria  | Euarchontoglires et Laurasiathériens (incluant les |
| | chiens, les chats, les cétacés, les chauve-souris, |
| | les taupes, etc.) |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Placentalia  | Mammifères dotés d'un placenta (et donc, qui accouchent |
| | de leur progéniture) |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Eutheria  | Tout mammifère placentaire et non marsupiaux |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Theria | Mammifères placentaires et marsupiaux |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Mammalia  | Animaux allaitant leur petits |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Tetrapoda  | Animaux comportant deux paires de membres et dont la |
| | respiration est normalement pulmonaire |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Gnathostomata  | Animaux vertébrés à machoires |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Vertebrata  | Animaux vertébrés (dotés d'une colonne vertébrale) |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Chordata  | Animaux dotés d'un squelette interne |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Deuterostomia  | Animaux dotés d'un pharynx percé de fentes |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Nephrozoa  | Animaux dotés de reins |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Bilateria  | Animaux dotés d'un côté gauche et d'un côté droit |
| | (excluant donc les méduses et les éponges de mer) |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Animalia  | Tous les animaux |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
| Eukaryota  | Tous les organismes dont la ou les cellules comporte(nt) |
| | un noyau |
+-------------------+----------------------------------------------------------+
Ce tableau nous montre que nous ne descendons pas que du singe, qu'il y a une
variété d'Animaux entre le _DACU_ et les singes, et doit donc nous indiquer la
faible proportion qu'occupe l'Humain dans l'arbre phylogénétique, d'autant qu'il
manque probablement un certain nombre de clades intermédiaires dépendant de
découvertes génétiques encore à venir. Une autre représentation de l'arbre
phylogénétique met cela en évidence de façon beaucoup plus nette: _Eukaryota_
est la partie en rose du disque représentant les trois Règnes du Vivant, _Homo
sapiens_ étant représenté sur la droite de cette section (détail ci-dessous).
![](tree-of-life-quarter.png)
![_Image #1_: Arbre phylogénétique, basé sur le génome d'après Ciccarelli et al.
(2006), mettant en évidence les trois domaines du vivant : les eucaryotes en
rose (animaux, champignons, plantes et protistes), les bactéries en bleu, et les
archées en vert.[@contributeurs_wikipedia_arbre_2021]](tree-of-life.png)
La science émancipée ne place plus _Homo sapiens_ au cœur du Règne du Vivant,
place désormais dédiée au _DACU_. L'héritage religieux et culturel de l'humain
continue pourtant de fausser notre perception de nous-même au sein de cet
ensemble. Nous avons pris tant de place dans les écosystèmes qu'intuitivement,
nous pensons toujours que notre espèce est au sommet de toute statistique que
nous pourrions établir sur le Vivant. Pour la phylogénie, et ne considérant que
la biosphère Terrestre, nous ne sommes qu'une espèce parmi des dizaines de
millions[@frontier_ecosystemes_2008], rien que chez les eucaryotes. Imaginez,
dans l'arbre du Vivant circulaire que nous venons de voir, et gardant à l'esprit
qu'il est très partiel, combien d'espèces peuvent représenter la zone en bleu.
Imaginez maintenant que la Vie existe ailleurs dans l'univers, possiblement sur
des millions de planètes, et vous aurez une vague idée de la position de notre
espèce dans l'Arbre du Vivant, à supposer que nous ne découvrions pas de
nouveaux domaines du Vivant en plus des trois représentés ici.

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@ -0,0 +1,280 @@
## Dans l'Histoire
Au cours du temps, et en l'état actuel de nos connaissances, on dénombre pas
moins de quatorze[@pin_combien_nodate] espèces du genre _Homo_. La plus récente,
et probablement la plus connue du grand public, est donc _Homo
neanderthalensis_, espèce disparue il y a environ trente mille ans seulement.
_H. sapiens_ et _H. neanderthalensis_ (entre autres) se sont partagés la planète
pendant environ trois cent mille ans, âge du plus ancien fossile connu de _Homo
sapiens_[@hublin_new_2017].
Cela peut paraître long. Après tout, la chute de Rome date d'il y a mille six
cents ans environ. Et la Révolution Française a eu lieu il y a moins de deux
cent cinquante ans. Pourtant, à l'échelle des temps, c'est peu. Car si _Homo
sapiens_ existe depuis trois cent mille ans, de nombreuses espèces ont vécu bien
plus longtemps, même en ne considérant que le genre _Homo_: _H. erectus_ a vécu
pendant près de deux millions d'années[@sacco_homo_nodate], dont les dernières
deux cent mille à nos côtés, ce qui signifie que _H. erectus_ a foulé "notre"
sol près de trois fois plus longtemps que nous.
![_Image #2_: Les Hominines au cours du temps (échelle : milliers d'années).[@contributeurs_wikipedia_histoire_2021]](hominines.png)
Et pourtant, cela reste encore peu, comparé aux dinosaures par exemple, qui ont
dominé notre planète pendant presque deux cent millions d'années, donc cent fois
plus longtemps que _H. erectus_, plus de trois cent fois plus longtemps que
nous. Et si cela ne suffit pas à établir la jeunesse de notre espèce,
considérons les bactéries, premières formes vivantes connues et toujours
actives, qu'on estime être apparues il y a trois milliards quatre cent soixante
millions d'années.
Les plus jeunes n'ont que les livres d'histoires pour cultiver la mémoire de la
Révolution Française, ou de la Guerre Civile Américaine, ou de la libération de
l'Inde. On imagine le Moyen-Âge comme un vague monde sombre, distant, très
ancien, primitif. Et dans l'imagerie populaire, Cro-Magnon est un vieux parent
dont on ne sait rien sinon qu'il vivait dans une caverne, alors quen réalité,
c'est un _Homo sapiens_, tout comme nous, dont les fossiles ne datent que de
quarante-cinq mille ans au plus.
De la même manière que la phylogénie permet de construire un "arbre du
Vivant", la géochronologie nous permet de construire un "arbre des temps
géologiques", dont les ramifications ne cessent de se multiplier au fil des
découvertes. On a précédemment établi la phylogénie de _Homo sapiens_, d'abord
dans un tableau, puis dans l'Arbre du Vivant ; nous allons faire de même avec
son Histoire, de l'unité géochronologique la plus récente à la plus ancienne.
La géochronologie est une discipline scientifique permettant d'utiliser les
différentes couches rocheuses pour dater avec précision les évènements survenus
sur Terre. L'_International Commission on Stratigraphy_[^ICS], subordonnée à
l'_International Union of Geological Sciences_[^IUGS], est en charge d'établir
une échelle des temps géologiques codifiée, y compris la couleur représentant
chaque période de temps. Cette échelle offre un référentiel temporel commun à
d'autres disciplines, comme par exemple la paléontologie.
[^ICS]: <https://www.iugs.org>
[^IUGS]: <https://stratigraphy.org/timescale/>
+------------------------+----------------+------------------------------------+
| Unité géochronologique | Début | Point de départ |
+========================+================+====================================+
| Méghalayen | -4 200 | Débutée par une période de forte |
| | | aridité, ayant peut être conduit à |
| | | la disparition de certaines |
| | | civilisations comme l'Ancien |
| | | Empire Egyptien, l'Empire Akkad, |
| | | ou Liangzhu en Chine |
+------------------------+----------------+------------------------------------+
| Holocène | -11 700 | Début du dernier réchauffement |
| | | climatique naturel |
+------------------------+----------------+------------------------------------+
| Quaternaire | -2 588 000 | Retour des glaciations |
+------------------------+----------------+------------------------------------+
| Cénozoïque | -66 000 000 | Extinction du Crétacé |
+------------------------+----------------+------------------------------------+
| Phanérozoïque | -541 000 000 | Émergence de formes de vie |
| | | complexes, tels les trilobites |
+------------------------+----------------+------------------------------------+
| Naissance de la Terre | -4 600 000 000 | |
+------------------------+----------------+------------------------------------+
Voyons maintenant quelle place occupent ces différentes divisions dans
l'Histoire de la Terre. Nous placerons différents jalons sur ces graphiques afin
de pouvoir nous repérer.
![_Image #3_: Les trois âges de l'Holocène, dont le Méghalayen dans lequel nous vivons actuellement.](holocene.png)
On peut déjà voir sur ce premier graphique, représentant l'époque de l'Holocène,
le rapport temporel entre l'Antiquité (définie par les historiens français comme
étant la période démarrant à -3000 av. J.-C. et finissant à la chute de
l'Empire Romain) et notre époque moderne (démarrant avec la découverte des
Amériques en 1492). Même le Moyen-Âge parait bien court.
![_Image #4_: Les deux époques du Quaternaire, l'Holocène en rose sur la droite.](quaternaire.png)
Ce second graphique nous montre que la plupart des espèces du genre _Homo_ sont
apparues lors du Pléistocène, précédant l'Holocène. Il montre la faible
proportion temporelle de l'Holocène au sein de la période du Quaternaire qu'on
distingue à peine sur l'extrémité droite. Pourtant, nous allons voir que même le
Quaternaire est une période bien courte à l'échelle des temps géologiques.
![_Image #5_: Les trois périodes de l'ère Cénozoïque. Les dates sont exprimées en millions d'années.](cenozoique.png)
Au lendemain de la catastrophe du Crétacé, qui causa l'extinction de plus de la
moitié des espèces vivantes dont les dinosaures, la Vie a repris, au profit des
mammifères et des oiseaux qui ont connu, lors du Paléogène et du Néogène, une
prospérité que ces Animaux conservons, pour la plupart, jusqu'à l'Holocène. Le
Néogène vit d'ailleurs l'apparition de nos plus anciens ancêtres - ou cousins -
connus jusqu'ici: _Sahelanthropus tchadensis_ et _Australopithecus afarensis_,
autrement connus sous les noms respectifs de _Toumaï_ (découvert par le
paléontologue français Michel Brunet en juillet 2001) et _Lucy_ (découverte par
une expédition internationale en 1974, à laquelle ont notamment participé Donald
Johanson, paléoanthropologue américain, et les français Maurice Taieb - géologue
- et Yves Coppens - paléontologue). La flore sépanouit, sous forme de plantes
herbacées, de ginkgos, d'eucalyptus, mais aussi les créatures marines (telles
que les premières baleines et espadons), les insectes et les oiseaux, notamment
ceux inaptes au vol et/ou géants.
Nous venons de couvrir les dernières soixante six millions d'années, depuis
l'extinction des dinosaures. Continuons donc notre exploration du temps en
voyant la place occupée par le Cénozoïque au sein de l'éon du Phanérozoïque.
![_Image #6_: Les trois ères du Phanérozoïque. Les dates sont exprimées en millions d'années.](phanerozoique.png)
Cette période a connu deux extinctions massives en relativement peu de temps:
celle du Permien-Trias et celle du Trias-Jurassique. Pourtant, elle fut l'hôte
des plus grandes créatures ayant jamais foulé le sol de la Terre, celui-là même
où vous pourriez avoir construit votre maison, ou là où se trouve la route que
vous empruntez. Elle a également connu de grandes diversifications du Vivant,
notamment des dinosaures qui ont vécu pendant près de deux cents millions
d'années, mais aussi de la faune aquatique, et de la flore terrestre.
Mais il nous reste encore un dernier graphique à observer pour compléter notre
bref aperçu des temps géologiques.
![_Image #7_: Les quatre éons de l'Histoire de la Terre, avec le Phanérozoïque à droite. Les dates sont exprimées en millions d'années.](eons.png)
Ces graphiques nous montrent bien la fugacité de notre espèce, et même de notre
lignée, mais ils ne témoignent pas de l'activité réelle de la Vie au cours des
Âges. Nous avons l'impression que l'Histoire de l'Homme ne devient très riche
qu'à partir du Moyen-Âge, ou du Siècle des Lumières, voire à partir de
l'industrialisation. Ce sentiment nous incite à croire en un certain calme
passé, vaguement ponctué de quelques extinctions de masse, des dinosaures, et
d'autres choses mais rien d'aussi riche que l'Histoire de l'Homme. Je suppose
que ce sentiment s'explique d'une façon ou d'une autre, même si je ne peux
étayer ces propos par des données scientifiques. Mais ce que j'aimerais mettre
en avant ici, c'est qu'au contraire, notre Histoire est extrêmement courte par
rapport à celle de la Terre, ou même par rapport aux premières espèces vivantes,
et au _DACU_, et sa richesse ne peut en rien être comparée à celle des quatre
milliards d'années qui nous ont précédé.
***
Bien sûr, être une espèce jeune n'implique pas nécessairement de tout
recommencer. L'évolution des espèces nous permet de nous appuyer sur tout
ce que les espèces ayant précédé et ayant été contemporaines de _H. sapiens_
nous ont appris. L'utilisation des outils, la domestication du feu, l'industrie
lithique et même l'art, tout cela a contribué à ce que nous soyons aussi avancés
que les autres espèces humaines à peu près au moment de notre apparition. Si
nous n'avions pas été contemporains de _H. neanderthalensis_ (et d'autres
espèces telles que l'Homme de Denisova), si nous avions été isolés comme a pu
l'être _H. floresiensis_[^floresiensis], peut être que nous aurions connu le
même destin. C'est parce que _H. neanderthalensis_ (entre autres) a partagé sa
culture avec nous que nous nous considérons comme l'espèce dominante
aujourd'hui, une considération qu'il est facile d'avoir lorsque nous sommes les
derniers représentants d'un genre entier.
[^floresiensis]:
H. floresiensis semble avoir été endémique de lîle de Florès. Son
caractère insulaire a probablement été la cause de sa disparition.
Voir @brown_new_2004
Il aurait été réellement très intéressant de voir comment nos sociétés auraient
évolué si, de nos jours, il existait encore d'autres espèces parmi le genre
_Homo_. Bien des choses auraient probablement été différentes, en particulier si
l'on considère que nous sommes à l'origine de la disparition de certaines
d'entre elles. C'est, du moins, la théorie que je soutiens, en dépit de la
théorie de la catastrophe de Toba[@contributeurs_wikipedia_theorie_2020], qui
suppose plutôt une réduction drastique des populations de l'ensemble genre
_Homo_ à cause de l'éruption massive du volcan du même nom.
Car notre espèce, _H. sapiens_, a eu un impact considérable sur les autres
membres du genre _Homo_. En fait, malgré la jeunesse de notre espèce, nous avons
un impact considérable sur toutes les espèces, puisque nous avons déjà causé
l'une des six extinctions massives dont la biosphère a été victime depuis que la
Terre abrite la Vie. En effet, si la plus connue est probablement celle du
Crétacé-Paléogène, il y a soixante six millions d'années et qui causa la
disparition de la moitié des espèces vivantes (dont les dinosaures), nous sommes
responsables - au moins en partie - de l'extinction de l'Holocène depuis dix
mille ans. C'est la seule extinction massive due à une espèce particulière, les
autres extinctions étant toutes imputées à des causes naturelles.
***
Je soutiens une théorie "mixte" concernant l'extinction du genre _Homo_
l'exception de _H. sapiens_): nous avons absorbé la culture des autres espèces
du genre _Homo_ qui nous ont été contemporaines et avec qui nous étions en
contact fréquent, donc principalement _H. neanderthalensis_ en Europe, _H.
floresiensis_ aux Philippines, _H. erectus_ en Asie et en Afrique. Par
"absorption" de leur culture, j'entends que pendant quelques temps, nous avons
appris de ces espèces, nous avons perfectionné ces connaissances, sans toutefois
leur transmettre ces perfectionnements, tout en absorbant leur génome dans le
même temps (par hybridation).
_H. sapiens_ a domestiqué le chien il y a environ quarante mille ans, coïncidant
avec la disparition de _H. neandethalensis_. C'est, pour l'anthropologue Pat
Shipman, ce qui a permis à _H. sapiens_ de prendre l'ascendant sur _H.
neanderthalensis_[@lambert_domestication_2012]: le loup devenu chien lui a
conféré un avantage considérable dans son approvisionnement en viande - en
particulier des grands herbivores de l'époque et notamment des mastodontes. Nous
ne disposons d'aucun indice attestant de la domestication du chien chez les
autres espèces du genre _Homo_, ce qui pourrait laisser entendre que _H.
sapiens_ n'a pas transmis son savoir, contribuant ainsi à la réduction des
populations des autres espèces de façon "passive", engendrant de la
consanguinité, et finalement, l'extinction.
Il y aurait aussi contribué de manière active: pas par élimination (puisqu'on ne
trouve aucune trace de violence physique dans leurs fossiles), mais par
hybridation, soit qu'elle ait entraîné une baisse de la fertilité chez les
autres espèces, soit qu'elle ait contribué à noyer leur génome dans le notre.
L'hybridation est une autre des théories actuellement envisagées par le
paléontologue finlandais Björn Kurtén (1924 - 1988) dans le roman de
paléo-fiction _Dance of the Tiger_[@kurten_dance_1995].
En sus de ces hypothèses, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de trouver des
causes différentes à l'extinction des autres espèces du genre _Homo_ qu'aux
autres espèces disparues au cours de l'Holocène. Nous sommes directement
responsables de l'extermination des grands Animaux (ce qu'on appelle la
Mégafaune, notamment les mammouths, mais aussi les grands félins et oiseaux),
que ce fut par chasse, ou par leur déplacement à notre convenance, ce qui
perturba grandement certains écosystèmes. Nous sommes directement responsables,
encore aujourd'hui, de la destruction des forêts, rendue nécessaire par la
découverte puis l'étalement de l'agriculture, que l'on réduit par des incendies
volontaires (l'écobuage), un phénomène que l'on atteste en Chine il y a huit
mille ans déjà.
Il est probablement compréhensible que nous n'assumions pas en être responsable,
surtout si l'on met ce comportement en parallèle avec les croyances que nous
avons cultivé et avec le commerce que nous avons développé, nous donnant un
sentiment de légitimité de ce comportement. Nous restons, malgré tout, et encore
aujourd'hui, dans l'incapacité de concilier l'orientation économique que notre
espèce a choisi et la survie des autres. Si, dans l'Antiquité, la religion
parlait davantage aux populations que la science, l'argent est la religion
d'aujourd'hui, et nous encourage à poursuivre notre œuvre de destruction, et
nous rend sourds aux appels d'urgence de la science. Car si mon hypothèse n'est
malheureusement pas vérifiable en l'état actuel de nos connaissances, on a pu en
revanche constater les effets dévastateurs de l'économie à notre échelle de
temps. Il est plus que probable que nous ayons contribué à l'extinction des
autres espèces du genre _Homo_, mais il est absolument certain que nous avons
directement contribué à l'extinction ou la quasi-extinction de beaucoup
d'espèces[@contributeurs_wikipedia_chronologie_2020], tant Animales que
Végétales et Fongiques. Telle est notre place dans l'Histoire de la Terre.
***
Le postulat de cet essai est que nous sommes plus primitifs que nous le pensons.
Nous venons de voir que notre espèce est jeune, et qu'elle n'est devenue
dominante que suite à l'absorption de la culture d'autres espèces que nous avons
fini par faire disparaître Cela prouve, certes, un certain type d'avance
intellectuelle sur nos anciens congénères, mais cela prouve également notre
primitivisme: si nous avions partagé avec les autres cultures (comme l'a fait
_H. neanderthalensis_ ou l'_Homme de Denisova_ avec nous) au lieu de les
absorber, nos civilisations respectives s'en trouveraient sûrement beaucoup plus
avancées aujourd'hui. Au lieu de cela, nous en sommes devenus les uniques
représentants dans un égoïsme rare, peut être unique parmi le genre _Homo_.
Voyez de quoi _H. sapiens_ est responsable ces vingt mille dernières années:
l'invention de l'écriture, la fondation de Rome, deux guerres mondiales, la
démocratie, une puissante industrie, une culture rayonnante, une extinction
massive, la colonisation de tous les continents, l'énergie solaire, les
satellites, la bombe atomique, etc. Imaginez maintenant ce qui aurait pu être
créé et découvert si _H. neanderthalensis_, _H. floresiensis_ ou _H.
denisovensis_ avaient pu continuer à partager la planète avec nous pendant deux
cent mille ans, si vous avions partagés nos cultures, notre intelligence, nos
connaissances, au lieu de simplement nous les approprier.
Nos sociétés actuelles s'en seraient retrouvées plus grandes, plus fortes, et,
pour finir, plus évoluées. Je crois, quoiqu'il en soit, que si plusieurs espèces
d'humains existaient encore de nos jours, notre perception du monde serait bien
différente. Ou bien nous n'aurions pas plus de considération pour ces autres
espèces que nous en avons pour les chimpanzés, pourtant espèce génétiquement la
plus proche de la notre, et que nous les aurions simplement placés dans des
cages avec du foin...

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@ -0,0 +1 @@
# Un primitivisme historique

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@ -0,0 +1,105 @@
## Les philosophes antiques
Il est fascinant de voir à quel point les philosophes de l'Antiquité étaient
évolués, et ce dans pratiquement tous les domaines. Il est non moins fascinant
de se rendre compte à quel point nous avons régressé dans ces disciplines au fil
des siècles - en grande partie à cause de la religion, mais aussi de nos valeurs
sociales modernes - et il faudra attendre le vingtième siècle pour que les
sciences s'affranchissent de certains dogmes qui limitaient leur avancée, avant
que d'autres dogmes ne les prennent en otage...
Leurs hypothèses étaient, bien sûr, "maladroites", selon nos connaissances
actuelles, plus de deux mille ans plus tard. Mais beaucoup d'entre elles étaient
plus ou moins correctes. Les intuitions (ou même parfois les observations) des
Grecs étaient justes, ou en tout cas, bien inspirées. Il faut dire que,
idéalement situés, ils bénéficiaient d'échanges culturels importants avec les
civilisations avoisinantes, en particulier avec l'Égypte qui avait déjà bâti ses
pyramides (dont on ignore encore aujourd'hui les secrets de leur conception tant
elle était précise), hôtesse de la ville d'Alexandrie, où Pythagore, Thalès et
Euclide vinrent s'abreuver des connaissances locales, notamment en géométrie
et en astronomie. En outre, par l'intermédiaire des peuples musulmans, mais dans
une moindre mesure, le monde occidental d'alors échangeait également avec la
Chine.
Par exemple, Démocrite[@contributeurs_wikipedia_democrite_2020] (460 - 370 av.
J.-C.), doté d'une inextinguible soif de connaissances et donc d'une culture
générale extraordinaire, devinait déjà l'existence de l'atome il y a près de
deux mille quatre cents ans. Il croyait également en une cosmologie admettant
qu'une infinité de mondes existent au sein d'un ou plusieurs univers, cosmologie
déjà suggérée deux cents ans auparavant par Anaximandre
[@contributeurs_wikipedia_anaximandre_2020] (610 - 546 av. J.-C.), qui cherchait
par ailleurs à expliquer l'origine des choses et les phénomènes météorologiques
sans intervention divine. En outre, contemporain de Démocrite, c'est déjà vers
360 av. J.-C. que Socrate postulait la sphéricité de la Terre dans le _Timée_
[@platon_timee_nodate] de Platon.
![_Image #8_: Le monde selon Anaximandre.](anaximandre-monde.png)
En ce temps-là, le monde connu était limité aux terres enveloppant la Mer
Méditerranée (d'où son nom, le latin _mediterraneus_ signifiant "au milieu des
terres") et la Mer Noire. Anaximandre était d'ailleurs considéré comme l'un des
premiers cartographes. Il se figurait le monde "moderne" de l'époque, civilisé
et évolué, comme un disque de terre entouré d'océan, et divisé en trois zones:
* L'Europe était délimitée par la Mer Méditerranée, la Mer Noire et le _Phase_
(aujourd'hui nommé _Rioni_, principal fleuve à l'ouest de l'actuelle
Géorgie)
* La Lybie (l'actuel continent Africain), qui comprenait notamment lÉgypte
* L'Asie, séparée de la Lybie par le _Nil_ à l'est et de l'Europe par le _Phase_
au nord-est
Dans cette représentation, Jérusalem se trouve près du centre du monde. Son
histoire[@contributeurs_wikipedia_histoire_2021-1], complexe et peuplée de
conquêtes successives, est trop riche pour que je l'aborde en détails ici.
Notons simplement qu'au cours du premier siècle, c'est une ville prospère: issu
de l'Empire Romain, Hérode le Grand y est au pouvoir, et rénove et étend le
Second Temple de Jérusalem, où débutera la narration du _Nouveau Testament_ de
la _Bible Chrétienne_.
Bien que la date et les circonstances exactes sont toujours sujettes à débat, on
concède toutefois que c'est à cette période, vers le milieu du premier siècle,
que le christianisme commença à rayonner tout autour de la Méditerranée
[@contributeurs_wikipedia_histoire_2021-2]. Son adoption est rapide et massive,
grâce à la position géographique privilégiée de Jérusalem, accessible par des
routes terrestres et maritimes déjà bien connues: depuis la puissante cité-état
de Tyr, par la mer jusqu'à Milet, berceau de Thalès et d'Anaximandre, puis
Troie, avant de rejoindre Athènes à l'ouest et Antioche à l'est. Tel fut le
trajet de Paul de Tarse[@contributeurs_wikipedia_paul_2021], d'abord persécuteur
des disciples de Jésus avant d'en devenir un apôtre auto-proclamé mais non
reconnu, lors de ses voyages pour diffuser le christianisme.
![_Image #9_: Le troisième voyage missionnaire de Paul de Tarse.](3eme-voyage-paul-de-tarse.png)
Les plus pauvres et les esclaves trouvent dans la religion chrétienne le
réconfort de la foi. Elle leur apporte un soutient - y compris financier - rendu
nécessaire par les inégalités sociales. Ils ne se sentaient pas touchés par les
philosophes, mais l'ont été par la religion qui s'adressait directement à eux.
Au cours des siècles qui suivirent, le christianisme devint de plus en plus
puissant. L'Empire Romain en fit sa religion officielle à la fin du quatrième
siècle, et en 600, il s'étendra jusqu'en Angleterre. Les anciennes théories
scientifiques tombèrent dans l'oubli au profit du dogme de la Création du monde
par Dieu, et de la nature à la fois divine et humaine du Christ, créant de fait
le clivage entre le Règne Humain et le Règne Animal. Un dogme qui persistera
jusqu'à nos jours, et qui réprimera - souvent dans le sang - toute idée
incompatible, telles que la sphéricité de la Terre, le monde héliocentrique, la
parenté de l'Homme avec tout animal et surtout le singe, l'apparition et
l'extinction d'espèces, etc.
Cette adoption est rapide et vigoureuse: l'empereur Justinien, qui "_se conçoit
comme un empereur chrétien, messager de Dieu, chargé de faire de son empire
terrestre l'équivalent du royaume céleste_"
[@contributeurs_wikipedia_justinien_2020], fait fermer les écoles philosophiques
d'Athènes en 529 au cours de la _translatio studiorum_
[@contributeurs_wikipedia_translatio_2019]. Les philosophes héritiers de Platon
et de Aristote sont contraints de se réfugier, notamment dans la Perse de
Khosrô I^er^. C'est probablement en partie grâce à ce "transfert des études" que
la philosophie aristotélicienne a pu survivre jusqu'à nos jours. Justinien sera
également à l'origine d'un code qui porte son nom, "_obligeant notamment les
païens à être baptisés_".
Toutefois, la culture ainsi perdue par l'occident chrétien sera récupérée et
développée par l'orient musulman. Les centres intellectuels se trouvent
désormais à Damas, puis Bagdad. Ce n'est que bien plus tard, lors de la
renaissance intellectuelle du XII^ème^ siècle, que cette culture oubliée refera
parler d'elle en Europe latine.

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@ -0,0 +1,104 @@
## La censure des sciences
Parmi les objectifs de certaines disciplines de la science, il y a l'exploration
de l'univers, et la recherche des origines de la Vie. Si l'hypothèse
couramment acceptée aujourd'hui est que la Vie est née dans l'eau, que des
organismes unicellulaires sont apparus, puis se sont multipliés avant de devenir
multi-cellulaires, puis de devenir des bactéries, qui se sont complexifiées avec
l'aide du temps pour aboutir aux poissons, puis aux amphibiens, puis, enfin, aux
créatures terrestres et aviaires, pendant très longtemps on ne s'est tout
simplement pas posé la question de savoir d'où l'on venait, ni même d'où
venaient toutes les créatures qui nous entouraient, et dans lesquelles on
puisait notre alimentation, persuadés que c'était là une ressource inépuisable
de nourriture.
Jusqu'à ce que nous formulions l'idée que tout cela devait provenir d'une ou
plusieurs entités bienfaisantes, supérieures à toutes choses. Ces entités
devaient forcément être d'une grandeur sans pareil, et d'une générosité infinie
pour avoir tant créé: des poissons, des oiseaux, des plantes, des arbres, des
mammouths, des ours, l'eau, l'air, le tout en quantité infinie, et même la terre
que nous foulons, et ces disques lumineux qui bougent dans le ciel. Ainsi
naquirent les croyances et les religions, qui expliquèrent l'inexplicable.
Encore aujourd'hui subsistent un certain nombre de croyances, quand bien même la
science explique de plus en plus de choses. Il faut, toutefois, un certain temps
avant que les dogmes religieux ne soient supplantés par la véracité
scientifique: l'héliocentrisme, c'est-à-dire la théorie selon laquelle la Terre
tourne autour du Soleil, déjà évoquée par Aristarque de Samos en 280 avant notre
ère mais désavouée par Ptolémée dans son _Almageste_[@ptolemee_almageste_nodate]
au II^ème^ siècle, dut attendre Nicolas Copernic en 1513 pour disposer d'un
modèle théorique, affiné ensuite par Johannes Kepler en 1609, pour enfin être
observé et confirmé par Galilée quelques années plus tard. Mais malgré les
preuves irréfutables que la science dressait devant leurs yeux, les pouvoirs en
place, très soumis à l'influence religieuse, firent censurer Galilée, puis le
firent condamner assigné à résidence jusqu'à sa mort. Ce n'est finalement qu'un
siècle plus tard que la thèse de l'héliocentrisme est définitivement acceptée.
Mais malgré notre avancement scientifique, malgré nos capacités modernes de
communication, et malgré l'émancipation de la science, une étude de la
_National Science Foundation_[^nsf] américaine révèle
[@national_science_foundation_science_2020] des chiffres inquiétants: 34%
des Européens, 30% des Indiens, 28% des Malaisiens, 26% des Américains et 14%
des Sud-Coréens pensent encore que c'est le Soleil qui tourne autour de la
Terre.
[^nsf]: <https://www.nsf.gov>
Notre culture moderne pose, en outre, deux problèmes majeurs qui font obstacle à
la progression de la science. D'une part, la monétisation de la science. Au
cours des XVII^ème^ et XVIII^ème^ siècles, on commence à voir apparaitre les
notions de brevet et de propriété intellectuelle, concrétisant ainsi des siècles
d'obscurantisme, ce qui conduisit progressivement à la fermeture de la science:
elle n'est plus accessible à tous, seulement à ceux qui payent, au point
qu'aujourd'hui, certains sites Internet (que je ne mentionnerai pas ici) sont
fermés par les autorités judiciaires au motif qu'ils diffusaient librement des
informations scientifiques en violant les droits d'auteur. Il faut ouvrir la
science à tous, et heureusement, il existe des initiatives
[@contributeurs_wikipedia_science_2021] qui vont en ce sens, mais pour que nous
puissions continuer à évoluer, elles devraient ne pas être _que_ des
initiatives: la science ouverte doit être la norme.
D'autre part, nous sommes focalisés, à notre époque, sur deux concepts sociaux:
le racisme et le sexisme. Il est certains que ce sont des problèmes qu'il faut
traiter urgemment, en particulier si l'on cherche à unifier les sociétés
humaines. Toutefois, on doit se poser la question de la pertinence du rejet de
certaines théories au simple motif qu'elles soient racistes ou sexistes. Je veux
dire par là que ni le racisme, ni le sexisme ne devraient être sujets à
polémique dans le cadre de concepts scientifiques énoncés antérieurement à notre
société actuelle. Oui, il y avait, fut un temps, une science "racisée":
Buffon, dans son Histoire naturelle, considérait possible la reproduction entre
un singe et une femme noire, mais aussi que l'Homme était une créature divine.
Contextuellement, dans la société d'alors, ce postulat était cohérent avec la
perception que nous avions du monde, et de nous-même, et de nos relations
sociales. Cette perception a évolué depuis, la science "racisée" ne fut qu'une
étape dans l'évolution des sciences en général. Notre société actuelle, bien que
toujours primitive, en particulier sur ces deux points spécifiques, a changé de
point de vue depuis, et il me parait inutile de juger a posteriori des
réflexions scientifiques antérieures de plusieurs siècles sur leur caractère
raciste ou sexiste, quand elles sont, par ailleurs, responsables de profonds
changements des paradigmes alors communément admis (en particulier, la filiation
de l'Homme et des Primates).
Il ne faudrait pas que nous articulions nos recherches scientifiques actuelles
ou futures autour de ces deux axes sociaux, il faut au contraire que nous y
soyons imperméables, c'est-à-dire que nous ne prenions pas ces sujets en
considération de par leur nature fondamentalement sociale et non scientifique.
Nous avons déjà établi scientifiquement que nous faisons tous partie de la même
espèce (_Homo sapiens_), quelle que soit notre ethnie d'appartenance. Si les
hommes font subir du harcèlement aux femmes scientifiques, c'est un problème
social, pas scientifique, puisqu'il se retrouve dans tous les domaines de nos
sociétés. Ne laissons plus des problèmes sociaux dicter l'orientation de nos
sciences: nous avons probablement perdu deux millénaires d'avancées
scientifiques à cause du musellement religieux. Il ne s'agit pas de laisser les
scientifiques dire que l'homme est supérieur à la femme, il s'agit de
s'appuyer sur des faits démontrables et indubitables, quel que soit le postulat.
Il est évident que nous ne pourrons pas évoluer davantage sans une éducation
plus importante des individus dans les domaines scientifiques. Pas dans un but
académique, mais simplement dans le but de disposer d'une culture générale plus
vaste, culture qui servirait à éduquer et intéresser nos enfants qui
absorberaient ces connaissances, et leur servirait de base pour leur
apprentissage futur. Ainsi, chaque génération contribuerait à augmenter le
_pool_ de connaissances de base de la génération suivante, qui l'enrichira au
fil des ans, et le transmettra à sa propre descendance. Exactement comme l'a
fait _Homo neanderthalensis_ avec nous, et ses prédécesseurs avant lui.

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@ -0,0 +1,93 @@
## Émancipation ou asservissement ?
Après Darwin, la science s'est enfin débarrassée des limites arbitraires
imposées par le christianisme. Malheureusement, cette émancipation a très vite
été freinée, stoppée, et inversée par notre dépendance à l'argent, redoublée
pendant l'entre deux-Guerres, et encore aggravée à la sortie de la Deuxième
Guerre Mondiale. L'industrialisation a prouvé sa toute-puissance en temps de
guerre, mais aussi après: le consumérisme, né de la peur de manquer, nous a
orienté vers une société où la science est un produit. Libérée de la religion,
aussitôt enchaînée par le capitalisme, quand elle ne le sert pas directement.
Nous en sommes à vouloir quitter la Terre ou faire de la géo-ingénierie pour
"ensemencer les nuages". Et ce n'est même pas une pratique nouvelle:
l'ensemencement des nuages par l'iodure d'argent ou le chlorure de sodium
(du sel) se pratique au moins depuis 1946, avec pour but de forcer la pluie et
de lutter contre la grêle. En France, par exemple, on utilise la méthode par
iodure d'argent depuis 2014, au dessus des zones de production de vins
[@midi_libre_face_2014], mais la question de la manipulation des nuages faisait
déjà débat en 2005: la ministre de l'écologie et du développement durable
d'alors, Nelly Olin (1941 - 2017), répondait: "_Il n'existe aucune preuve
scientifique à charge ou à décharge dans ce dossier._"[@senat_lutte_2005]. Le
problème est que le point de vue adopté est économique et anthropocentré: on
sait que l'iodure d'argent est extrêmement toxique pour les organismes
aquatiques. Il est, en revanche, très bon pour l'économie: il contribue à la
préservation des vignobles français en cas de grêle...
Une étude déjà publiée en 1973[@us_department_of_the_interior_hungry_1973] aux
États-Unis mentionne pourtant les effets délétères de l'iodure d'argent:
"_altération de la végétation, changements dans la population de la faune,
changement hydrologique, accumulation d'iodure d'argent et argent libre, des
effets inhibiteurs sur: le sol, les micro-organismes et invertébrés aquatiques,
et sur les plantes terrestres_"[@contributeurs_wikipedia_ensemencement_2021].
Plus récemment, un rapport sur la modification du climat publié par
l'_Organisation Météorologique Mondiale_ en 2010 conclue: "_L'usage d'agents
tels que l'iodure d'argent pour ensemencer des cumulus super-froids a produit
peu de résultats
concluants_"[@world_meteorological_organization_executive_2010].
Mais il y a un point sur lequel les études ne s'attardent pas: disperser de
l'iodure d'argent nécessite en premier lieu sa production, qui commence par
l'extraction d'argent et de potassium depuis des mines (rappelons, à toute fin
utile, que le Mexique, la Chine et le Pérou sont les principaux producteurs
mondiaux d'argent, et que dans le même temps, on déplore l'érosion d'une
biodiversité en outre exceptionnelle au Mexique et au Pérou, notamment au profit
de l'agriculture et des mines[@seibt_ruee_2013]...). On produit ensuite du
nitrate d'argent et de l'iodure de potassium, qu'on mélange pour produire
l'iodure d'argent. Tous étant des composés considérés comme toxiques, voire
hautement toxiques, et polluants. Sans parler de son épandage qui fait appel à
un avion, lequel produit de la pollution, qui contribue au réchauffement
climatique, source probable de l'augmentation de la fréquence et de la violence
des tempêtes...[@buis_how_2020]
Nous demandons à la science de "résoudre" des "problèmes" naturels. Nous
avons passé deux mille ans de notre histoire à opposer la religion à la science,
et maintenant, nous demandons, schématiquement, à la science de s'opposer à
Dieu. Que penser alors de la biologie de synthèse, discipline visant rien de
moins que la production de nouvelles espèces totalement synthétiques, et
notamment portées par les industries pharmaceutiques
[@contributeurs_wikipedia_roche_2020] et informatiques ? On peut se dire que
l'ingénierie du Vivant est une discipline de l'avenir, qui offre des
perspectives sur lesquelles des gens comme moi fantasment depuis le _Jurassic
Park_ de Michael Crichton paru en 1990 et son adaptation cinématographique de
1993. On peut aussi se dire que c'est par la biologie synthétique qu'on se
dotera peut-être des capacités qui nous manquent - et que je détaillerai plus
tard. En fait, selon moi, le problème ne tient pas tant à la discipline
elle-même qu'à ce qui gravite autour d'elle: le spectre de l'argent et ses
dérives, tels que les brevets sur le Vivant
[@contributeurs_wikipedia_brevetabilite_2020] ; la mégalomanie inhérente, et
déjà incarnée par Calico[@contributeurs_wikipedia_calico_2021], dont la
maison-mère n'est autre qu'Alphabet, anciennement Google, et dont l'ambition est
de vaincre la Mort ; les potentiels usages martiaux - rappelons que la physique
nucléaire, appelée à fournir de l'énergie à tous et améliorer notre qualité de
vie, a aussi conduit à la création de la bombe atomique ; et, probablement la
problématique la plus grave, le remplacement du Vivant "naturel" par le Vivant
"synthétique", et tout ce que cela implique en terme d'éthique et de santé
publique... Mais que seront ces considérations face à notre dépendance à
l'économie et au commerce ? Parviendrons-nous à faire preuve de bon-sens ? Il
est intéressant de noter que notre Office Parlementaire d'Évaluation des Choix
Scientifiques et Technologiques[^OPECST] s'interrogeait déjà en 2011 des dérives
potentielles d'une telle technologie qui justifieraient un encadrement, et
soulignait un positivisme de la part des personnes sondées au sujet de
l'acceptation sociale de cette discipline[@fioraso_office_2011].
Malheureusement, l'Histoire n'abonde pas dans le sens d'un usage raisonné des
technologies...
[^OPECST]: <http://www.senat.fr/opecst/index.html>
La science ne devrait servir qu'à expliquer le monde qui nous entoure ; elle ne
devrait pas interagir avec lui. Or, lui demander de provoquer la pluie, stopper
la grêle, "améliorer" le Vivant, c'est outrepasser cette règle, en plus en
utilisant l'économie et/ou la santé comme levier, et, à mon sens, c'est une
grave erreur qui a déjà provoqué des catastrophes et en provoquera d'autres que
l'on n'anticipe peut-être pas encore.

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@ -0,0 +1,122 @@
## Une bulle cognitive limitante
J'aimerais évoquer ici la bulle cognitive dans laquelle nous sommes enfermés,
mais qui est malheureusement nécessaire à la poursuite de nos recherches sur la
vie extraterrestre. En effet, considérant l'immense quantité d'objets
astronomiques, nous sommes dans l'obligation de limiter les facteurs intervenant
dans nos recherches. Nous avons donc établi un indice d'habitabilité des
planètes, qui nous permet de déterminer celles qui pourraient être capables
d'abriter la Vie. Nos recherches vont donc se concentrer sur les meilleures
candidates.
Quels que soient les résultats que l'on peut obtenir de cette méthode, elle
ouvre des perspectives fantastiques. Que ce soit de façon directe ou indirecte,
elle nous permet d'élargir nos connaissances dans tous les domaines de
l'astronomie, d'en apprendre plus sur l'origine de la Vie sur Terre, sur la
nature des objets célestes, qu'ils aient un indice d'habitabilité élevé ou non.
Toutefois, elle présente la contrainte d'être limitante, par définition. On
cherche des planètes habitables selon des critères spécifiques: les nôtres. Et
bien qu'ils tendent à être de moins en moins exclusifs, ils restent focalisés
sur notre connaissance du Vivant, ce qui pourrait nous empêcher de détecter
d'autres formes de Vie, basées sur des éléments dont nous ignorons actuellement
la nature. Peut-être, en effet, qu'il existe des formes de Vie ayant besoin
d'hélium, ou de soufre, plutôt que de carbone ou d'oxygène. Après tout, certains
organismes (généralement appelés extrémophiles) existants sur notre "propre"
Terre sont significativement différents de ce à quoi nous sommes généralement
habitués.
L'un de ces organismes dont j'aimerais parler ici, et qui est probablement le
plus célèbre, est le tardigrade, autrement appelé ourson d'eau. C'est un petit
animal long de moins d'un millimètre, vieux d'au moins quatre-vingt millions
d'années[^tardigrade], dont on connaît plus de mille deux cents espèces depuis
sa découverte en 1773 par Johann August Ephraim Goeze (1731 - 1793), donc très
répandu, et qui dispose de plusieurs particularités liées à ses conditions de
vie. Ainsi, il est capable de survivre à des températures comprises entre -272
et +150 degrés, à des pressions jusqu'à six mille bars, dans un milieu sans eau,
exposé à des rayons ultra-violets ou X, mais aussi au vide spatial. C'est
véritablement une créature extraordinaire.
[^tardigrade]:
Du fait de leur taille et de l'absence d'organes minéralisés, les
tardigrades se dégradent vite après leur mort, et ne laissent quasiment
jamais de traces fossilisables. Un seul fossile ancien est connu, trouvé
dans de l'ambre du lac Manitoba, daté de 80 à 90 millions dannées.
Voir @contributeurs_wikipedia_tardigrada_2021
![_Image #10_: Tardigrades de l'espèce _Hypsibius dujardini_[@contributeurs_wikipedia_hypsibius_2021].](Hypsibiusdujardini.jpg)
Lorsque le tardigrade est exposé à ces conditions, il se place dans un état
appelé cryptobiose, qui réduit de 99,99% son activité métabolique. Il semble
mort, et peut demeurer dans cet état pendant plusieurs années. Pourtant, il est
capable de retourner à un état "normal" dès que les conditions le permettent à
nouveau. En se focalisant sur les critères spécifiques à la Vie sur Terre, on
pourrait ne pas être en mesure de détecter la présence de créatures telles que
les tardigrades sur une autre planète.
Les autres organismes que j'aimerais évoquer sont ceux vivant près des monts
hydrothermaux[@contributeurs_wikipedia_mont_2020]. Certains scientifiques ont
théorisé l'apparition de la Vie près de ces cheminées naturelles qu'on appelle
également les fumeurs noirs. C'est par exemple le cas du chimiste allemand
Günter Wächtershäuser[@wachtershauser_evolution_1990] (né en 1938).
![_Image #11_: Une communauté de vers tubicoles géants à la base d'un mont hydrothermal.](mont-hydrothermal.jpg)
Les fumeurs noirs sont la conséquence des mouvements tectoniques: en se
déplaçant, les plaques tectoniques provoquent des crevasses par lesquelles l'eau
du plancher océanique s'infiltre. À l'approche du magma et de ses hautes
températures, et de par la pression qui règne à ces endroits, un phénomène de
précipitation se produit: l'eau se charge de minéraux et d'autres éléments
métalliques (dans le cas des fumeurs noirs, du fer et du manganèse par exemple,
mais d'autres composés chimiques peuvent être présents) tout en remontant vers
le plancher océanique, où sont donc déversés de grandes quantités de nutriments.
Ainsi, malgré des conditions théoriquement peu propices à la vie (la température
de l'eau sortant des monts hydrothermaux qui peut atteindre 250 degrés, la
pression élevée, l'acidité du milieu), on trouve tout un éco-système profitant
de ces éjections de nutriments: des micro-organismes, tels que des bactéries,
mais aussi des organismes plus complexes, comme les vers tubicoles géants, des
crevettes, ou encore des crabes.
Nous ne pourrions pas non plus détecter ces créatures en restreignant nos
recherches comme on le fait à l'heure actuelle, en tout cas pas de façon
directe. Mais il pourrait y avoir encore plus difficile à détecter, et seule
notre imagination est le facteur limitant. Car après tout:
> Claude Bernard, dans la première des Leçons sur les phénomènes de la vie
> communs aux animaux et aux végétaux (1878), déclare explicitement que l'on
> n'a pas à se soucier de la notion de vie, car la biologie doit être une
> science expérimentale et n'a donc pas à donner une définition de la vie ; ce
> serait là une définition a priori et "la méthode qui consiste à définir et à
> tout déduire d'une définition peut convenir aux sciences de l'esprit, mais
> elle est contraire à l'esprit même des sciences expérimentales". En
> conséquence, "il suffit que l'on s'entende sur le mot vie pour l'employer"
> et "il est illusoire et chimérique, contraire à l'esprit même de la science,
> d'en chercher une définition absolue".[@contributeurs_wikipedia_vie_2020]
Autrement dit, nous pourrions ne pas avoir à chercher que des formes de Vie
telles qu'elles apparaissent sur Terre parce qu'elles pourraient être très
différentes de ce que l'on connaît. Elles pourraient même être bien plus
évoluées que nous. C'est d'autant plus vrai si l'on considère la possibilité que
ces créatures soient détentrices et fassent usage d'une technologie leur
permettant d'être indétectables...
D'ailleurs, la Vie pourrait parfaitement être apparue ailleurs que sur Terre _en
premier lieu_. C'est même l'objet de la théorie de la panspermie selon laquelle
l'apparition de la Vie sur Terre aurait été causée par le bombardement
météoritique qu'elle a subit lors de sa formation, et pendant tout le temps qu'a
nécessité la formation de son champ magnétique qui l'en a ensuite protégé: les
fragments de Vie, soit sous forme d'acides aminés, soit sous forme plus ou moins
complexe, auraient été acheminés par les météorites s'écrasant à la surface de
la proto-Terre. La haute température en résultant, conjuguée aux hautes
pressions, aurait permis la formation de molécules complexes. Une fois la Terre
refroidie, l'eau a pu prendre sa forme liquide, dissoudre la roche, et
disséminer ces molécules qui, éventuellement, ont formé les bactéries. Cette
théorie suggère donc que, bien que propre à l'accueillir sous cette forme, la
Terre ne disposait pas encore des briques fondamentales à la Vie, qui auraient
été apportées là à travers l'espace, possiblement de très loin, et possiblement
il y a très longtemps. Ce qui ne manquera pas de nous rappeler les premières
lignes d'introduction des premiers épisodes de la plus célèbre saga
inter-galactique: _Star Wars_... Le plus surprenant avec cette théorie étant
qu'elle a été, encore une fois, formulée dès l'Antiquité, par Anaxagore
[@contributeurs_wikipedia_anaxagore_2021], au cinquième siècle av. J.-C.

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@ -0,0 +1,4 @@
# Des communications limitées
> Étant donné la faiblesse de nos sens, nous ne sommes pas à même de disposer
> d'un critère du vrai.[@contributeurs_wikipedia_anaxagore_2021]

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@ -0,0 +1,100 @@
## Les limites de notre perception
Le spectre électromagnétique couvre les ondes radio, la lumière et les couleurs,
ultraviolets et infrarouges, les rayons X et gamma.
![_Image #12_:Le spectre électromagnétique.[@contributeurs_wikipedia_spectre_2021]](domaines-du-spectre-electromagnetique.png)
Notre corps a la capacité de recevoir des ondes électromagnétiques dans
certaines bandes spécifiques et restreintes par rapport à l'ensemble du spectre.
Ce que notre œil est capable de percevoir se trouve dans la bande "Visible"
sur l'image ci-dessus. Nous avons dû nous doter de technologies externes à notre
corps pour être capable de recevoir (et d'émettre) sur d'autres bandes de
fréquences. Il est tout à fait envisageable que des espèces extraterrestres
aient la faculté de percevoir d'autres bandes de fréquences que notre œil, que
leur perception soit étendue, ou au contraire limitée à une bande de fréquence
plus restreinte ou plus éloignée de la notre, ce qui les empêcherait de lire le
texte ou "voir" les images qu'on peut leur envoyer. La taille du texte est
également à prendre en compte: nous-même, humains, avons parfois d'un texte plus
grand pour être lu plus confortablement.
La perception est d'ailleurs une faculté qui doit encore faire l'objet de
recherches poussées, car toutes les espèces, même sur Terre, ne perçoivent pas
le monde de la même façon que les humains. Nous supposons que nous sommes
capables de percevoir plus, davantage que les autres espèces, mais en réalité,
malgré l'usage de technologies, il y a beaucoup de choses que nous ne percevons
pas, alors que certains Animaux le peuvent. Jusqu'à ce qu'on soit capable (ou
qu'on ait eut l'idée) d'analyser le spectre sonore dans les ultrasons, on
ignorait que la chauve-souris utilisait ces fréquences pour se déplacer dans
l'obscurité ; ce n'est qu'en 1938 que Donald Griffin (1915 - 2003) a pu prouver
l'usage des ultrasons par les chauve-souris[@pierce_experimental_1938] - il a
ensuite étendu ses recherches à d'autres Animaux, notamment les baleines et les
oiseaux, et a prouvé l'étendu des usages qu'ils en faisaient, qui ne se
limitaient pas au déplacement mais également à la détection de proies et à la
communication.
À l'opposé du spectre sonore, tant que nous ne pouvions pas analyser les très
basses fréquences, nous ignorions que les baleines et les éléphants utilisaient
les infrasons pour communiquer sur de longues distances. Des fréquences
inaudibles pour l'Homme, pourtant utilisées fréquemment par les Animaux. C'est,
d'ailleurs, peut-être parce qu'ils sont capables de percevoir les infrasons
qu'ils réagissent plus tôt que nous lors de séismes ou d'éruptions volcaniques
qui produisent ce type de sons. Il faut donc considérer que d'autres espèces que
nous fassent usage, même sans technologie, de méthodes de communications
différentes des nôtres, et qu'elles puissent percevoir le monde différemment de
nous. Nous resterons une espèce primitive tant que nous n'en serons pas
capables, ce qui peut prendre du temps compte tenu des possibilités
virtuellement infinies offertes par la Vie à ce sujet.
J'ai parlé des perceptions visuelles et auditives parce que ce sont celles qui
nous paraissent les plus importantes. En effet, nous disposons de palliatifs en
cas de perte de la vue ou de l'ouïe, même si ces palliatifs sont imparfaits.
Nous ne disposons, en revanche, d'aucune alternative en cas de perte de
l'odorat, du goût ou du toucher, parce que nous n'utilisons pas ces sens pour
communiquer entre humains. Ils sont pratiquement considérés comme relevant
"du luxe", ou comme vaguement utiles. Peut-être est-ce lié à la religion, en
particulier, aux péchés capitaux (la gourmandise ou la luxure), ou tout
simplement à la culture considérée localement. Si, pour nous "occidentaux
chrétiens", le sens de l'odorat n'intervient pas dans nos communications, il
est pourtant au cœur de certains comportements dans d'autres sociétés:
> Dans la société saharienne de Merzouga (Sud-Est marocain), la présence d'homme
> et de femme dans un espace donné détermine des comportements d'évitements qui
> sont sous-tendus par la capacité de chacun à émettre des signes, plus ou moins
> directs, de sa propre présence. Hommes et femmes communiquent souvent sans
> avoir recours au langage oral jugé mal adapté aux règles de la pudeur. Ainsi,
> les rencontres donnent lieu à des manifestations sensorielles discrètes
> (odorantes et sonores).[@gelard_anthropen_2017]
On doit encore à Aristote la désignation et la description de nos cinq sens dans
la deuxième partie de son œuvre _De l'Âme_[@r_d_hicks_aristotle_1907], où il
met déjà l'Animal et l'Homme sur un pied d'égalité, au moins en ce qui concerne
le sens du toucher, même s'il les fait diverger sur ce qu'il appelle le _sens
commun_ et l'_imagination_. Mais le Règne Animal ne nous renseigne que depuis
quelques années seulement sur de multiples sens dont l'Humain ne peut pas faire
usage.
Lélectro-perception, par exemple, est probablement l'un des sens les plus
connus, bien que l'Humain en soit dénué. Il permet de percevoir un champ
électrique. Traditionnellement, on fait la démonstration d'un champ électrique
en frottant un ballon (donc que l'on charge électriquement) puis en l'approchant
des cheveux, qui sont alors attirés par lui. Certains poissons comme les requins
sont doté de ce sens. Melinda Modrell de l'Université de Cambridge a d'ailleurs
prouvé depuis 2011 que l'ancêtre commun à tous les vertébrés (y compris _Homo
sapiens_, donc) était doté de cette capacité[@modrell_electrosensory_2011].
Un autre sens dont l'Homme est privé mais qui est relativement bien connu dans
le Règne Animal est la magnétoception, c'est-à-dire la perception de champ
magnétique et/ou de ses variations, observée notamment chez les oiseaux et les
baleines, dont ils se servent pour s'orienter lors de leurs migrations. D'autres
sens peuvent encore être cités (comme la thermoception, la perception de la
température), et d'autres encore sont peut-être à découvrir et explorer: les
phéromones et les ectomones (regroupées sous le terme de _sémiochimique_) sont,
après tout, un moyen de communication répandus sur Terre, utilisé tant par les
Animaux que les Végétaux...
Nous devrons probablement étudier plus amplement ces différents moyens de
percevoir et d'interagir avec l'environnement avant d'envisager la possibilité
d'une communication universelle. En attendant, nos moyens de communications
actuels, même spécifiques à notre espèce, nécessitent d'être améliorés, de même
que nos rapports aux autres, peu importe l'espèce.

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@ -0,0 +1,174 @@
## L'écriture
L'écriture est souvent mise en avant pour justifier notre position d'espèce
dominante, ou en tout cas, "avancée". En effet, sur Terre, nous sommes la seule
espèce à être capable d'écrire et donner un sens à nos écrits. Elle constitue
une représentation visuelle de notre pensée: elle dépend donc de notre capacité
à l'abstraction[^abstraction], dont on peine encore à déterminer si d'autres
espèces en sont capables, soit qu'on n'ait pas encore su comment procéder pour
le découvrir, soit que trop peu de recherches soient disponibles. En tout état
de cause, si certaines espèces peuvent effectivement être douées d'une certaine
forme d'abstraction, nous restons la seule à utiliser l'écriture de façon
courante.
[^abstraction]:
En philosophie, l'abstraction désigne à la fois une opération qui consiste à
isoler par la pensée une ou plusieurs qualités d'un objet concret pour en
former une représentation intellectuelle, et le produit de cette opération.
Voir @contributeurs_wikipedia_abstraction_2020
C'est un outil dont nous nous sommes dotés pour pallier aux limites du langage
verbal. L'écriture permet notamment le stockage d'informations de façon
intemporelle. C'est pour cette raison que l'écriture est généralement considérée
comme la technologie séparant la _Pré_histoire (qui _précède_ l'Histoire) et
l'Histoire, celle qui peut être écrite, lue, et surtout, sauvegardée.
L'écriture nécessite un certain nombre de compétences et de caractéristiques
physiques. Outre la capacité intellectuelle (philosophique) d'abstraction, il
faut également être capable de produire physiquement les graphèmes[^grapheme]
(autrement dit, les tracer), les lire (donc être en capacité sensorielle de les
voir), et les comprendre. Or, ces graphèmes sont en relation étroite avec les
différentes cultures humaines, et est donc un outil créé par l'Humain, et pensé
pour l'Humain. Chaque culture utilise ses propres graphèmes, et encore
aujourd'hui subsistent différents systèmes d'écriture. Au sein-même de l'espèce,
donc, persistent les problèmes de compréhension et d'interprétation de
l'écriture.
[^grapheme]:
Un graphème est la plus petite entité d'un système d'écriture.
Voir @contributeurs_wikipedia_grapheme_2020
Sans universalité, point d'évolution, et nos systèmes d'écriture, quoique
tendant vers un regroupement (graphèmes latins, cyrilliques, arabes, etc.),
restent multiples (y compris à l'échelle de cultures spécifiques, tels que
hiragana, katakana, kanji et romaji rien qu'au Japon), donc non-universels, donc
primitifs.
Quelle que soit sa culture de provenance, notre écriture présente une limitation
majeure: elle est linéaire. De gauche à droite (ou l'inverse), de bas en haut.
Il n'y a ni _profondeur_ ni _arborescence_. Elle est par conséquent intimement
liée au _temps_, lui aussi linéaire[^temps]. En effet, et malgré son attrait
principal dont j'ai parlé avant, celui d'être intemporelle - dans le sens où,
une fois écrite, une histoire peut être lue plus tard et par n'importe qui, au
contraire d'une conversation verbale que seuls les interlocuteurs peuvent garder
en mémoire - l'écriture est une affaire de temps: ce n'est que parce que le
temps avance qu'on est en mesure d'écrire, ou, plus exactement, écrire nécessite
de se plier aux règles du temps, et donc de la physique.
[^temps]:
Du point de vue de la physique, et depuis Albert Einstein (1879 - 1955), on
sait que le temps n'est pas linéaire partout. Mais à l'échelle terrestre, on
peut le considérer comme tel, les forces impliquées dans sa courbure
n'intervenant pas de façon significative.
Voir @contributeurs_wikipedia_tests_2021
Plus concrètement, il est impossible pour nous aujourd'hui de représenter notre
pensée de façon instantanée. On doit prendre le temps de l'écrire (ou, plus
généralement, de l'exprimer). Or, écrire, et lire, certaines représentations de
notre pensée peut être fastidieux, même pour des concepts simples, en
particulier si l'on considère communiquer avec une autre culture, voire une
autre espèce.
Par exemple, si vous ignoriez ce que "graphème" signifie, vous étiez obligés de
quitter le paragraphe en cours de lecture pour lire la note de bas de page.
Fut-elle plus longue et complexe, vous auriez pu perdre le fil de ce que
j'écrivais, vous auriez peut-être dû relire la dernière phrase pour vous
remettre dans le bain, et ce d'autant que j'ai utilisé ce terme tôt dans mon
texte, par rapport aux lignes que vous êtes en train de lire. Vous pourriez
devoir remonter dans le texte, puis redescendre, et donc suivre une trame
linéaire, intriquée dans le temps, de façon décousue, peu intuitive. Une
écriture évoluée signifierait donc une écriture qui soit réellement, inhéremment
intemporelle, qui soit écrite instantanément, pour représenter l'état de nos
pensées au moment où elles sont générées et que l'on a pour objectif de les
communiquer à ce moment précis, puis ultérieurement. Une photographie de nos
pensées, fidèle au moment, mais consultable tout le temps, et dont un rapide
examen permet d'en comprendre la teneur avant de s'attarder, si on le souhaite,
sur les détails.
Ajouter de la profondeur au texte lui permettrait d'être moins primitif. S'il
était également arborescent, nous atteindrions peut-être même un système écrit
particulièrement avancé, quoique toujours soumis à la nécessité de pouvoir le
voir, et le comprendre.
En ce qui concerne la profondeur, Internet a déjà la solution. Ce n'est pas
exploité partout, malheureusement à cause de nos lois - elles aussi primitives -
sur le droit d'auteur. Ce n'est pas parfait, mais c'est bien plus efficace que
n'importe quoi d'autre à l'heure actuelle: le lien survolé qui affiche le
contenu (ou une partie) du document lié.
Pour rappel, le lien hypertexte (l'adjectif suggère efficacement qu'il augmente,
améliore, le lien classique) est une invention datant de 1965 par Ted Nelson
(né en 1937), qui a massivement été utilisé par la suite sur le World Wide Web
créé par Tim Berners Lee (né en 1955) quelques années plus tard. Ce lien
hypertexte permet de naviguer rapidement d'un document à un autre.
Sur la Wikipédia, lorsque vous survolez un lien vers un autre article de la
Wikipédia, sans cliquer dessus, vous voyez apparaitre une partie du contenu de
cet autre article, vous permettant d'obtenir rapidement un peu d'information
pour compléter ce que vous lisez, sans pour autant quitter la page que vous
lisez. De part son positionnement, ce type de lien ne vous force même pas à
circuler de haut en bas pour accéder à son contenu. L'écrit n'est plus
simplement linéaire, il dispose d'une profondeur.
On ne dispose pas encore d'un système d'écriture qui soit doté d'une
arborescence, c'est-à-dire, qui soit capable d'exprimer plusieurs ensembles
d'idées récursives, de façon simple. Une extension du lien hypertexte pourrait
consister en l'affichage de la prévisualisation d'un contenu, lui-même offrant
ce type de lien, mais nécessiterait une action du lecteur pour être visible,
faute de quoi le lecteur croulerait sous les prévisualisations, et perdrait
inévitablement le fil des pensées de l'auteur.
Considérons un moment l'universalité du cercle, du disque et de la sphère. Quoi
de plus universel ? Les vieux vinyles sont ronds, tout comme les Blu-ray
modernes, de même que les billes permettant de limiter les frottements dans un
ensemble mécanique mobile, de même que la meule qui moud le grain pour en faire
de la farine, que la planète qui orbite autour d'une étoile, que le pneu de
votre voiture, la molette de la souris de votre ordinateur, et même, la pointe
de votre stylo "bille" (utilisé pour écrire) est une sphère.
La roue figure probablement parmi les inventions les plus importantes dans
l'évolution de l'Homme. On l'utilise tout le temps, partout, parfois au point
d'oublier sa forme caractéristique. Et son universalité.
La science-fiction nous offre souvent une vision peu ambitieuse, et surtout très
anthropocentrique, de ce que pourraient être les créatures extra-terrestres: à
l'aspect humain, dotées d'une tête affublée d'yeux, de membres plus ou moins
calqués sur le modèle humain, parce qu'on s'imagine que tout ce qui possède la
capacité de se déplacer à travers l'espace ne peut le faire que parce que cette
espèce possède les mêmes attributs physiques que nous.
Toutefois, de temps en temps, on tombe sur des œuvres de science-fiction qui
offrent des éléments réalistes, cohérents, et recherchés sur ce que pourraient
être, ou ce que pourraient faire, des espèces extra-terrestres. Je vais
notamment citer le film _Premier Contact_, réalisé par Denis Villeneuve et sorti
en 2016. Une espèce extra-terrestre arrive sur Terre, et on fait appel à une
linguiste pour tenter de communiquer avec les nouveaux arrivants. Leur méthode
d'écriture est basée sur des graphèmes en forme de cercle présentant des
aspérités plus ou moins prononcées ; et si, au début, on n'en voit qu'un à la
fois, on comprend vite que ce moyen d'expression est bien plus avancé qu'il n'y
parait, et débouche sur une écriture qui respecte une partie de mon postulat
initial: elle est intemporelle (c'est une représentation fidèle des pensées
individuelles au moment où elles prennent forme) et dotée d'une profondeur (la
taille des aspérités en bordure de chaque cercle).
À l'heure actuelle, je crois que c'est la représentation qui se rapproche le
plus d'une communication écrite qui peut être définie comme étant "avancée",
et ce, notamment, grâce à l'usage de la forme circulaire. Si nous parvenions à
ajouter la dimension qui manque au cercle pour en faire une sphère, nous
pourrions aboutir au dernier de mes postulats: l'arborescence, puisqu'alors,
représentés dans une sphère, les idées écrites pourraient être récursives, sans
gêner la lisibilité de l'ensemble. On naviguerait autour et dans une sphère pour
lire le contenu, et d'un coup dœil on pourrait voir les idées de l'auteur,
sous-jacentes et récursives, sans perdre la lisibilité du contenu principal. Il
lui manque encore une troisième dimension, mais dans l'absolu, l'arbre du Vivant
circulaire vu précédemment montre déjà la puissance ce type de représentation
pour des données nombreuses et complexes.
L'écriture ne serait plus aussi primitive qu'à l'heure actuelle. Malgré tout, et
c'est inhérent à l'écriture, pas à sa modernité ou son primitivisme, elle reste
un moyen de communication dépendant des capacités physiques des lecteurs (et des
rédacteurs), et donc reste imparfaite et non universelle. En imaginant que, dans
le film mentionné, les extra-terrestres projettent une image mentale pour que
nous, humains, puissions y accéder, cela pourrait sous-entendre qu'ils disposent
d'un autre moyen de communication, peu ou pas dépendant de leurs capacités
physiques, et donc, plus évolué que l'écriture...

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@ -0,0 +1,91 @@
## Le langage parlé
Le langage parlé souffre à peu près des mêmes défauts que l'écriture, mais au
lieu de nécessiter le sens de la vision et la possibilité motrice de tracer des
graphèmes, il requiert le sens de l'ouïe et la capacité de formuler des sons. En
outre, il est bruyant (quand la survie de l'individu peut dépendre de son
silence), aussi imprécis que l'écriture (de part les modulations de sonorités
applicables aux mots, dont le sens peut également être modifié par le langage
physique adopté au moment où l'on s'exprime), et ne permet pas de stocker
l'information dans le temps (autrement que par des moyens techniques, non
"naturels"). Enfin, il n'est pas possible de communiquer oralement sur de
grandes distances sans avoir recourt là encore à des moyens techniques externes.
Évidemment, dans nos sociétés modernes, la question de la survie par la
discrétion ne se pose plus que dans des cas exceptionnels. Mais l'imprécision,
la spécificité du langage parlé (son manque d'universalité, même au sein de nos
propres sociétés), et sa fugacité sont des handicaps à notre évolution.
Comme beaucoup de choses évoquées dans ce livre, c'est paradoxalement notre
évolution qui est à mettre en cause: l'avancée de la civilisation humaine
s'accompagne nécessairement de complexités qu'il reste à résoudre, et le
langage, qu'il soit parlé ou écrit, ne fait pas exception. Certaines notions
sont si complexes qu'elles requièrent un vocabulaire spécifique, et certains
domaines de pensée sont si nouveaux qu'un vocabulaire dédié n'a pas encore été
créé.
Une langue réellement évoluée, en plus d'être universelle, ne serait pas
conditionnée aux évolutions de l'espèce. Elle serait, comme l'écriture,
intemporelle, impossible à rendre obsolète. Elle obéirait donc à des règles
simples, mais pouvant former une "infinité" de combinaisons, afin de
correspondre à l'ensemble des idées possibles, passées, présentes et futures.
Une telle langue serait donc probablement mathématique. Sa simplicité
présenterait l'avantage d'être facile à apprendre, et, puisque déjà basée sur un
concept universel (les mathématiques), elle serait elle-même universelle.
Parmi les nombreux problèmes mathématiques qui sont également des exercices de
pensée, j'aime particulièrement celui de l'échiquier de Sissa. Sa légende nous
dit:
> Le roi Belkib promit une récompense à qui lui proposerait une distraction
> inédite. Ravi par le jeu d'échecs présenté par le sage Sissa, le souverain
> l'interrogea sur ce qu'il souhaitait en échange. Sissa demanda au roi de poser
> un grain de riz sur la première case de l'échiquier, deux sur la deuxième,
> quatre sur la troisième, et ainsi de suite en doublant le nombre de grains à
> chaque case, et déclara qu'il se contenterait des grains déposés sur la 64ᵉ et
> dernière case du jeu. [...]
Avec des règles mathématiques simples (un plateau de soixante quatre cases, on
double le nombre de grains par case), on peut aboutir à des nombres qui
dépassent l'entendement. En effet:
> [...] Le roi accorda cette récompense sans se douter que des siècles ne
> suffirait pas à son royaume à produire la quantité de riz demandée, 10 
> milliards de milliards de grains, qui équivaut à plus de trois siècles de la
> production mondiale de riz actuelle ! Elle n'aurait pas tenu sur une case
> d'échiquier puisque, en amassant les grains sur la surface de la ville de
> Paris, la couche mesurerait près de deux kilomètres de haut à raison
> d'environ cinquante mille grains par kilogramme, cela fait deux cent milliards
> de tonnes ou à peu près autant de mètres cubes.[@lehoucq_face_2020]
Peut-être pourrions-nous imaginer construire une langue sur ce principe, sur la
loi des grands nombres[@contributeurs_wikipedia_loi_2021]: elle disposerait d'un
nombre limités de règles, mais permettrait la création de toutes les expressions
actuelles et futures, quelque soit le domaine concerné. En fait, une telle
langue - dite "formelle" - est déjà imaginée par le philosophe et mathématicien
Gottfried Wilhelm Leibniz (1646 - 1716) en 1666, dans _De arte combinatoria_
[@leibniz_dissertatio_1666]: c'est la _Caractéristique universelle_, et servira
de base de travail à Gottlob Frege (1848 - 1925) dans son _Idéographie_
[@frege_ideographie_2000] de 1879, puis à la _Théorie des représentations du
discours_[@contributeurs_wikipedia_theorie_2019] formulée indépendamment en 1981
et 1982 par Hans Kamp et Irene Heim. Le lecteur sera probablement intéressé par
le fait que ces travaux s'inspirent fortement de la logique aristotélicienne,
dont Leibniz était friand.
Notons par ailleurs qu'actuellement, l'anglais est considérée comme la langue
naturelle (c'est-à-dire, non construite) la plus universelle de nos jours. En
effet, c'est la langue la plus parlée au monde, la troisième langue maternelle
après le mandarin et l'espagnol. Rappelons à ce titre que cette universalité est
due à l'étendue de l'Empire Britannique, qui a atteint son apogée après sa
victoire contre Napoléon: entre 1815 et 1914, il s'étendait alors sur vingt six
millions de kilomètres carrés, du Canada à l'Australie, de l'Afrique du Sud à
l'Inde, et quatre cent millions de personnes vivaient sous la bannière anglaise:
l'Union Flag.
Mais elle n'est malheureusement pas universelle dans la mesure où, en dépit de
sa simplicité, certaines populations refusent toujours de l'apprendre, et qu'en
plus, elle est incapable de transmettre des idées sans nécessiter son
apprentissage, alors qu'une langue mathématique, logique, ne nécessiterait que
des notions élémentaires de logique pour être comprise.
En fin de compte, une langue évoluée ne serait simplement pas orale.

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@ -0,0 +1,151 @@
## Autres formes de communication
Une communication qui ne nécessiterait aucun sens particulier (ni la vue, ni
l'ouïe) ni capacité physique particulière serait extraordinairement évoluée:
elle serait réellement universelle. Mais alors, comment pourrions-nous
communiquer ?
Une telle forme de communication ne pourrait être que "télépathique". Cela
peut prêter à sourire, mais en effet, la transmission d'idées directement d'un
esprit à l'autre supprimerait toutes les barrières évoquées jusqu'à maintenant
(même si d'autres problèmes apparaîtraient rapidement). Ce "sixième sens" tel
que proposé par la métapsychique[@contributeurs_wikipedia_metapsychique_2021] à
différentes époques, permettrait de communiquer entre espèces. Cela relèvera de
la pseudo-science et de la science fiction (qui en traite abondamment) tant que
nous n'aurons pas de preuve de son existence, mais si un tel sens existait, je
crois qu'il constituerait le mode de communication évolué par excellence.
Malheureusement, nous ne sommes pas naturellement équipés pour ce type de
communication. Si l'on accepte l'existence d'espèces extraterrestres, on peut
aussi imaginer que leur propre évolution les ait amenés à être dotés de
"l'infrastructure corporelle" requise par ce type de communication. La science
fiction postule souvent, et c'est étonnant, que les extraterrestres peuvent
communiquer de cette façon avec nous, bien qu'unilatéralement (ils peuvent nous
envoyer des informations mais nous ne pouvons pas leur en envoyer). Ce qui
signifie que pour la science fiction, nous serions déjà capables de recevoir une
communication de ce type, et donc elle suppose que sa réception ne nécessite
rien d'autre que ce que notre corps possède déjà. N'est-ce pas là la preuve
irréfutable d'une forme de communication réellement universelle ?
La question d'une forme de communication universelle se pose au moins depuis que
l'Homme envoie ses sondes dans l'espace: si ces sondes venaient à être
interceptées par une civilisation extraterrestre, elles devaient disposer, en
plus de leurs instruments de mesure, d'un moyen quelconque de nous présenter à
cette civilisation.
Eric Burgess (1920 - 2005), journaliste et consultant anglais, a proposé à Carl
Sagan (1934 - 1996), l'un des plus éminents scientifiques de notre époque,
l'idée d'accompagner les sondes Pioneer d'un message à destination des
extraterrestres. Sagan fit alors appel à Frank Drake[^drake] et ensemble, ils
conçurent la fameuse plaque Pioneer[@contributeurs_wikipedia_plaque_2020],
portée par les sondes Pioneer 10 et Pioneer 11 en 1972 et 1973.
[^drake]:
Frank Drake, né en 1930, est le fondateur du projet SETI (_Search for
Extra-Terrestrial Intelligence_) - dans lequel l'observatoire d'Arecibo
récemment (2020) détruit a joué un rôle important - et l'auteur de
l'équation qui porte son nom, destinée à calculer le nombre potentiel de
civilisations extraterrestres avec lesquelles nous pourrions entrer en
contact.
![_Image #13_: La plaque Pioneer de Sagan](plaque-pioneer.png)
La symbolique de cette plaque est remarquable, surtout considérant qu'elle est
censée présenter l'Humanité, d'où l'on vient, comment nous retrouver, et que
Sagan n'eut que trois semaines pour la préparer.
Toutefois, elle n'est pas exempte de critiques. On lui a notamment reproché de
nous représenter nus, caucasiens, l'homme mis en avant quand la femme est en
retrait et passive. En outre, sa lecture est perçue comme difficile, même pour
certains scientifiques. Elle manque d'universalité. Sauriez-vous reconnaître,
sur cette plaque, où se trouve la représentation symbolique de la transition
hyperfine de l'atome d'hydrogène ? Aurez-vous reconnu la position du système
solaire au sein des quatorze pulsars montrés, et sa distance par rapport au
centre de la galaxie ? Avez-vous compris, au premier coup dœil, le rapport de
proportions entre l'Humain et la sonde Pioneer ? Comment sont représentées les
distances ? Le trajet suivi par la sonde ?
La tâche de Sagan, même aidé de Drake, était colossale, et a certainement dû
mobiliser toutes leurs ressources intellectuelles disponibles pour réaliser
cette plaque en aussi peu de temps. Même si elle est imparfaite, les critiques
formulées ont permis d'améliorer les futurs messages que l'on souhaiterait
transmettre à une civilisation extraterrestre. C'est ainsi que l'on produisit le
disque d'or de Voyager[@contributeurs_wikipedia_voyager_2020], sur lequel Sagan
et son équipe de l'Université de Cornell ont travaillé pendant près d'un an.
![_Image #14_: Le couvercle du disque d'or de Voyager](voyager-disque-or-couvercle.jpg)
Bien qu'ayant eu plus de temps pour le produire, ce disque reste perfectible,
notamment à cause de sa complexité. Une action mécanique est nécessaire pour
accéder à son contenu, bien qu'elle soit représentée sur le couvercle du disque:
il faut utiliser un stylet fourni et faire tourner le disque à une vitesse
précise, calculée en fonction de la transition hyperfine de l'atome d'hydrogène,
et d'un nombre binaire exprimé sous forme de — et de | dans le sens inverse des
aiguilles du montre tracé autour de la représentation picturale du disque. Cela
fait peut-être beaucoup de déductions à faire, même pour une espèce capable de
voyager dans l'espace, et on en conclue donc que le message est réalisé par des
scientifiques pour des scientifiques, ce qui, une fois de plus, l'éloigne de
l'universalité qu'on en attend.
En outre, l'administration américaine de Jimmy Carter a jugé que la
représentation des humains nus était obscène. Il faut dire que, le disque
incluant une centaine de photos, dont certaines représentant des humains
(habillés), il n'était pas jugé nécessaire d'ajouter un dessin au trait
détaillant notre anatomie.
L'intérêt du disque est évident (pour nous, humains): il permet de stocker une
variété d'informations et de façons de la représenter. On y trouve du contenu
textuel, mais également des sons de la Terre (c'est d'ailleurs le titre du
disque), mais aussi des musiques et des photographies, et un message du
président Carter, dont la Wikipédia nous offre une traduction:
> "Cette sonde spatiale Voyager a été construite par les États-Unis d'Amérique.
> Nous sommes une communauté de 240 millions d'êtres humains parmi plus de 4 
> milliards qui habitent la planète Terre. Nous, les êtres humains, nous sommes
> encore divisés en états-nations, mais ces états vont rapidement devenir une
> seule civilisation globale.
> Nous lançons ce message dans le cosmos. Il est probable qu'il survive un
> milliard d'années dans notre futur, quand notre civilisation aura été
> profondément modifiée et la surface de la Terre grandement transformée. Parmi
> les 200 milliards d'étoiles de la Voie lactée, quelques-unes — peut-être
> plus — peuvent abriter des planètes habitées et des civilisations voyageant
> dans l'espace. Si une telle civilisation intercepte Voyager et peut comprendre
> les contenus enregistrés sur le disque, voici notre message : [suit le message
> gravé sur le disque d'or...]."[@contributeurs_wikipedia_voyager_2020]
Je me garderai bien de prétendre savoir comment communiquer avec une
hypothétique civilisation extraterrestre qui pourrait potentiellement
intercepter une de nos sondes. Il est toujours facile de critiquer des actions a
posteriori, en particulier quand notre société et nos sciences ont évolué depuis
plusieurs décennies, d'autant que je ne peux pas produire d'exemple concret d'un
message que je jugerais réellement universel. Je vais toutefois me permettre de
relever un certain nombre d'éléments que j'estime intéressants à propos de ce
disque et son contenu, sans en faire une analyse complète (ce qui serait d'un
intérêt extrême et justifierait l'écriture d'un livre entier).
Pour commencer, je note que la personne qui a écrit ce message (qu'il s'agisse
de Jimmy Carter ou d'une équipe ayant produit ce texte en son nom) prend en
considération l'absence d'unité de nos peuples, et que leur unification est une
condition de notre évolution, un point que j'ai déjà abordé dans un chapitre
précédent. Ce qui, en soi, est un aveu de notre primitivisme (toute relative que
cette notion puisse être, mais en tout cas, nous l'admettons, et nous admettons
que la civilisation lisant le message puisse avoir atteint l'unité des peuples,
et donc être plus évoluée).
Ensuite, l'accès au reste du contenu du disque est complexe. On doit déjà
comprendre qu'il y a un contenu autre que le message et les pictogrammes. On
doit par ailleurs comprendre que l'objet sur lequel sont gravés ces pictogrammes
ne sont qu'une enveloppe pour un autre objet (le disque), qui contient d'autres
informations. Et on doit ensuite déduire que pour accéder à ces informations, on
doit mettre en œuvre une action mécanique. On doit alors décoder les
informations, pour finalement les interpréter. Cela fait beaucoup d'étapes et
risque de prendre un certain temps. On peut toutefois suggérer que si une
civilisation extraterrestre a été en mesure de faire tout ça, elle devrait être
capable de communiquer avec nous d'une façon ou d'une autre.
Cependant, tout cela n'arrivera pas si cette civilisation a pu être bâtie sans
disposer du sens de la vue, que l'on croit essentiel à toute chose, parce que
c'est le cas pour notre espèce. Il se peut que, soit qu'elle n'en ait jamais eu
l'usage, soit qu'elle l'ait perdu au cours de son évolution parce qu'elle n'en a
plus eu l'utilité, sans pour autant nuire à son évolution ultérieure, elle n'en
soit simplement pas dotée...

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@ -0,0 +1,89 @@
## La technologie à la rescousse
Notre technologie actuelle nous permet de combler certaines limitations de nos
capacités physiques, mais cela a pris du temps, et supprimer les barrières
actuelles en nécessitera aussi. Notre vision du monde était limitée à ce que
l'on voyait, au sens littéral du terme, et si Newton (1643 - 1727) découvrit
que la lumière blanche était composée de raies hétérogènes de couleurs
différentes dès 1672[^newton], ce n'est qu'en 1800 que William Herschel
(1738 - 1842) découvrit, par hasard, les infrarouges[@herschel_chemical_1837],
et en 1801 que Johann Wilhelm Ritter (1776 - 1810) mis en évidence les
ultraviolets[@contributeurs_wikipedia_johann_2020]. Soixante ans plus tard,
James Clerck Maxwell (1831 - 1879) prédit l'existence d'ondes électromagnétiques
dans toutes les fréquences possibles, ce qui permit à Heinrich Hertz
(1857 - 1894) de découvrir les ondes radio en 1886
[@contributeurs_wikipedia_experience_2021] (les ondes hertziennes), puis à
Wilhelm Röntgen (1845 - 1923) les rayons X en 1896. Ces découvertes ont augmenté
de façon significative notre perception du monde, en permettant l'imagerie
médicale, mais aussi de nouvelles méthodes d'observation astronomique. On peut
désormais "voir" à l'intérieur du corps (ou entendre, l'échographie étant basée
sur les ultrasons, mais qui permet pourtant une visualisation). On peut voir
l'effondrement d'une étoile, qui pourtant émet des rayons gamma.
[^newton]:
Cette découverte sera ensuite publiée dans _Opticks_ en 1704, aujourd'hui
considérée comme l'une des plus grandes œuvres scientifiques de l'histoire.
Voir @newton_opticks_1704
La technologie nous a également permis d'étendre la portée de nos interactions.
D'abord signaux de fumée - variés en taille et en forme - aux Amériques et en
Chine, tambours en Afrique, puis signaux de feu, déjà imaginés par Eschyle dans
son _Orestie_[@eschyle_agamemnon_1872] datant de 458 av. J.-C. puis utilisés au
cours du Moyen-Âge et encore en usage au XVI^ème^ siècle au Japon (le
_Noroshi-Jutsu_[@contributeurs_wikipedia_noroshi-jutsu_2020]), les
communications longue-distance se complexifient en mer à partir du XVIII^ème^
siècle grâce à l'usage des pavillons - un système perfectionné depuis mais
toujours en usage. Entre 1782 et 1793, on voit apparaitre un système de
communication basé sur des tubes acoustiques porté par le moine français
Dom Gauthey et notamment soutenu par Benjamin Franklin[@lange_dom_2019], sous
forme de simples porte-voix portatifs ou de complexes réseaux en tubes de fer
blanc intégrés aux bâtiments, comme imaginés par Jeremy Bentham en 1793
[^bentham]. Une idée rapidement rendue obsolète par l'invention du télégraphe
l'année suivante par Claude Chappe (1763 - 1805) qui restera en activité en
France jusqu'en 1845, remplacé par le télégraphe électrique seulement deux ans
après son introduction en Amérique du Nord par Samuel Morse (1791 - 1872),
également créateur de l'alphabet qui porte son nom.
[^bentham]:
Jeremy Bentham (1748 - 1832) était un philosophe et jurisconsulte
britannique. Il porte des idées résolument modernes, telles que l'égalité
des sexes, le droit des animaux, l'abolition de l'esclavage et de la peine
de mort, et à qui l'on doit notamment le panoptique, un modèle architectural
initialement carcéral où l'observateur se trouve au coeur du lieu observé.
Voir @lange_jeremy_2019
Le télégraphe Chappe[@contributeurs_wikipedia_telegraphe_2020], bien
qu'essentiellement français, s'étendait, à la fin de sa vie, sur un réseau de
plus de cinq mille kilomètres, tant vers la Belgique que l'Allemagne et
l'Italie. En 1871, le réseau de télégraphes électriques s'étend de la Californie
à Hong-Kong et l'Australie, en passant, bien sûr, par l'Europe. Le monde est
alors doté d'un système de communications commun, dont les techniques
constitueront les bases des réseaux modernes, dont le téléphone, la radio, la
télévision, et enfin, Internet.
Pourtant, malgré la globalité de nos réseaux de communications, nous faisons
toujours face à de nombreux problèmes. Par exemple, certaines sociétés humaines
n'y ont toujours pas accès. Il se peut que ce soit par choix: certains peuples
sud-américains, africains, insulaires ou toute autre société aussi réduite ou
large soit-elle peut avoir fait le choix de conserver un mode de vie indépendant
des technologies de communications modernes, ils n'en sont pas moins humains,
_Homo sapiens_, comme les peuples occidentaux auto-proclamés "riches" et
"civilisés". Nous ne pourrons pas nous prétendre une espèce avancée tant que
nous n'aurons pas établi une communication permanente, mutuellement avantageuse
et non commerciale avec ces sociétés "isolées". La communication n'est pas
qu'une affaire technique, c'est aussi une affaire d'inclusion, et jusqu'à
présent, nous ne nous sommes pas montrés très coopératifs avec ces sociétés que
nous considérons comme sous-évoluées, même encore de nos jours, et même si nous
contribuons moins activement à leur disparition, du moins à certaines d'entre
elles. Elles auraient pourtant tant à nous apprendre !
Un autre problème de la globalisation et de la rapidité de nos moyens de
communications modernes est qu'ils ont révélé, mis à jour, placé devant la face
du monde notre haine des autres. Politique, religion, orientation ou identité
sexuelle, intelligence, naïveté, ethnie, richesse, pauvreté: pour chaque idée
que l'Homme peut formuler, pour chaque trait qui le caractérise, il sera
confronté à la haine. Les réseaux de communication ont certes contribué à notre
évolution en permettant le partage de la connaissance, mais ils ont également
contribué à la mise en lumière de certaines parties de nous-mêmes qui auraient
dues rester dans l'ombre. Peut-être qu'après tout, nous ne sommes pas une espèce
aussi sociale que ce qu'on prétend...

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@ -0,0 +1,4 @@
# Un primitivisme social
> En effet, le bien que je veux, je ne le fais pas, et le mal que je ne veux
> pas, je le fais.[@de_tarse_paul_1923]

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@ -0,0 +1,90 @@
## La génétique sociale
Il nous plaît de prétendre que l'une des caractéristiques qui nous différencient
fondamentalement de l'Animal est l'étendue de nos interactions sociales, au
point de l'avoir érigée au rang de sciences: les sciences sociales,
essentiellement focalisées sur l'Humain. Si je ne suis pas toujours d'accord
avec leurs conclusions (ni même, parfois, leurs hypothèses), il n'en reste pas
moins que les sciences sociales, avec à leur sommet l'éthologie
[@contributeurs_wikipedia_ethologie_2021], sont riches et passionnantes, au
point qu'il me sera difficile d'en produire un résumé sans passer sous silence
certains points qui paraîtront pourtant essentiels aux plus érudits dans les
domaines concernés, d'autant que ce sont des sujets qui passionnent et divisent,
parfois abruptement.
L'éthologie, donc, est l'étude des comportements des espèces Animales, y compris
l'Homme. Bien que le terme soit récent (Isidore Geoffroy Saint-Hilaire en
propose la définition en 1854), c'est encore Aristote qui fut probablement l'un
des premiers à mentionner le comportement Animal dans la même série de livres
que dans laquelle il présente sa classification des espèces, ce que fera
également Buffon plus de deux mille ans plus tard dans son _Histoire Naturelle_.
Mais c'est grâce à la théorie darwinienne (de l'évolution) que l'éthologie
connaît son essor.
Bien que ce fut Lamarck qui introduisit la théorie transformiste en 1809, la
théorie de Darwin, évolutionniste, était antitéléologique (sans finalité
pré-déterminée), fortuitiste (opportuniste ?), et matérialiste
[@contributeurs_wikipedia_transformisme_2021]. Les deux scientifiques théorisent
l'évolution des espèces, mais divergent sur la question de la finalité, qui peut
être résumée à:
> Chez Lamarck: la fonction crée l'organe.
> Chez Darwin: l'organe crée la fonction.[@shmikkki_retour_2015]
À l'idée que les caractères acquis sont héréditaires Darwin associe le principe
de sélection naturelle.
Les travaux sur l'éthologie de Konrad Lorenz, Nikolaas Tinbergen et Karl von
Frisch vont mettre en évidence la coexistence de caractères innés et de
caractères acquis chez les Animaux, et recevront pour cela le Prix Nobel de
physiologie en 1973. Ils concilient l'hérédité de certains comportements sociaux
des Animaux formulée par Lamarck, donc inscrits dans le patrimoine génétique,
avec l'acquisition de nouveaux traits qui sont ensuite "stockés" dans le
patrimoine génétique pour être transmis à la génération suivante, conformément à
la théorie de l'évolution de Darwin.
La génétique des comportements sociaux étudie depuis une vingtaine d'années la
corrélation entre l'expression de certains gènes et le comportement de l'Animal
concerné. Ces recherches concernent en particulier l'abeille _Apis mellifera_.
Elles sont menées par le _Honey Bee Genome Sequencing Consortium_ au sein de
l'Université de l'Illinois aux États-Unis depuis 2001, et dirigées par Gene Ezia
Robinson. Son équipe a fini par démontrer comment certains gènes (ou leurs
allèles, leurs variantes) pouvaient influencer le rôle de chaque abeille dans sa
ruche[@ben-shahar_influence_2002]: si un allèle particulier s'exprime, l'abeille
sera plutôt une ouvrière, ou plutôt une butineuse. Autrement dit, et de façon
assez vulgarisatrice, le rang social d'une abeille au sein d'une ruche est
potentiellement déterminé par ses gènes.
On peut donc supposer que nos comportements sociaux modernes résulteraient de
l'addition des comportements hérités de _H. neanderthalensis_ (mais aussi des
autres espèces qui lui étaient contemporaines, et de leurs prédécesseurs) et des
comportements acquis depuis, liés à l'augmentation de notre population, à nos
relations avec les autres espèces du genre _Homo_, à notre sédentarité, à
l'opulence que nous avons créé, et encore à bien d'autres choses.
***
Au même titre que la morphologie des individus, la longueur des pattes, la
forme des griffes, la couleur du pelage, le nombre de doigts, etc., les
caractères sociaux (et, par extension, psychologiques en général) seraient donc
stockés dans le génome de l'espèce. C'est l'objet de la psychologie
évolutionniste, dont Lorenz, Tinbergen et von Frisch sont les pionniers.
Imaginez un graphique, avec une ligne horizontale (l'abscisse), et une ligne
verticale par caractéristique génétique. Chaque individu serait représenté par
une série de points, un par axe vertical, situés plus ou moins loin de
l'abscisse en fonction de la "valeur" de la caractéristique considérée
(c'est-à-dire, en fonction de l'allèle dominant). Par exemple, un individu ayant
une voix grave verrait son "curseur" correspondant à la tessiture de la voix
plutôt vers le bas du graphique, en dessous de l'axe de l'abscisse. À l'opposé,
si le point était plutôt au-dessus de l'abscisse, on en déduirait que sa voix
est plutôt claire. Et si l'on pouvait le faire pour chaque gène et pour chaque
allèle, y compris ceux déterminant les caractéristiques sociales de chaque
individu, peu importe l'espèce ? À chaque nouvelle génération, on verrait
apparaitre de nouvelles lignes verticales, correspondant aux caractères acquis
par la génération précédente, et intégrée au patrimoine génétique de la
génération suivante. Je trouve que c'est un système élégant pour visualiser le
patrimoine génomique d'un individu, et pourrait peut-être servir à des fins de
comparaison, entre individus, entre sociétés, entre espèces, et nous permettrait
peut-être de mieux comprendre l'évolution des caractères, sociaux ou non, sans
distinctions entre espèces.

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@ -0,0 +1,129 @@
## La surpopulation
Il est malheureusement impossible de déterminer avec certitude l'étendue des
rapports sociaux que pouvaient entretenir nos ancêtres, quelle que soit leur
espèce et quelles que soient les espèces avec lesquelles ils avaient ces
interactions, tant que nous n'avons pas accès à leur génome, et que nous n'avons
pas identifié avec certitude le lien entre génome et comportements sociaux.
Or, nos comportements sociaux peuvent parfois être dangereux, une expression de
malveillance, de sexisme, de racisme, de ségrégation, d'ostracisme, peu importe
de quoi l'Autre est considéré comme une minorité. Notre conformisme est en
totale opposition avec la diversité de nos cultures, et est, paradoxalement, une
des sources de nos divergences. Nous ne sommes toujours pas parvenus à être
inclusifs, pas à l'échelle de notre espèce, et encore moins à l'échelle des
autres. Pourquoi ? Doit-on supposer que le rejet de l'autre est une
caractéristique innée, donc héritée de _H. neanderthalensis_, _H. denisovensis_,
_H. erectus_ ? Ou est-ce plutôt une caractéristique acquise, peut-être due à
notre surpopulation, et visant à restaurer un équilibre ? À la mutation
inappropriée d'un gène ? Impossible, pour le moment, de répondre avec certitude
à cette question. Mais en fait, peu importe l'origine de notre malveillance:
elle existe, et elle est une preuve de notre primitivisme. Et c'est en soi
également paradoxal: si nous étions primitifs, nous n'accorderions aucun intérêt
aux notions de Bien et de Mal: nous vivrions simplement nos vies, sans
interférer avec les autres dans un autre but que de pérenniser l'espèce, ce dont
nous a privé la surpopulation.
Notre population, stable pendant très longtemps, s'est subitement accrue entre
six mille et quatre mille ans avant J.-C., concomitamment à l'apparition de
l'agriculture, puis du commerce, pour continuer de croître de façon
exponentielle depuis. Nous sommes ainsi passés d'une population mondiale estimée
inférieure à dix millions d'individus il y a douze mille ans, vingt millions il
y a cinq mille ans, puis deux cent millions au III^ème^ siècle. Cette croissance
s'est accompagnée de changements profonds dans nos interactions sociales. Ayant
appartenu autrefois à des groupes nomades de taille limitée à une cinquantaine
d'individus, nous nous rassemblions désormais dans des cités peuplées de
dizaines de milliers d'habitants[^population]. Les règles de vie ont changé, et
ce d'autant plus que le commerce a créé ou révélé les inégalités entre les
Hommes, faisant naitre l'esclavage et la notion de "statut social". Car avec
le commerce vint la possibilité de s'enrichir, de posséder plus que les autres,
afin d'avoir un pouvoir sur eux. Cela a probablement exacerbé la jalousie, le
sentiment d'injustice, ou au contraire de puissance, parfois jusqu'à y chercher
une légitimité irrationnelle, et d'autres sentiments qui n'étaient peut-être
jusque là qu'enfouis dans nos pensées.
[^population]:
On estime que Rome comptait trente mille habitants au VI^ème^ siècle av.
J.-C., et cent quatre-vingt sept mille trois cents ans plus tard.
Voir @contributeurs_wikipedia_rome_2021
En outre, il faut prendre en compte les capacités intellectuelles requises aux
interactions sociales. Robin Dunbar, anthropologue britannique né en 1947, a
publié en 1992 une étude[@dunbar_coevolution_1993] comparant la taille du
néocortex de différents primates et la compare au nombre d'individus de leurs
groupes respectifs: le nombre de Dunbar[@contributeurs_wikipedia_nombre_2018],
qu'il estime à cent cinquante pour l'humain. C'est le nombre maximal de
relations sociales stables qu'il peut entretenir, une taille bien supérieure à
celle des groupes de chasseurs-cueilleurs, mais largement inférieure à la
population des premières cités antiques. Un nombre corroboré par des études
ultérieures menées sur Twitter[@goncalves_validation_2011] et Facebook
[@abc_science_150_2016], ce qui tend à prouver que nous ne sommes pas faits (au
sens littéral du terme) pour nous regrouper en sociétés de plusieurs dizaines de
millions d'individus...
Parallèlement au commerce, la politique s'est également développée. Outil
destiné à gérer de larges populations d'individus quand les sociétés basées sur
le lignage (l'autorité aux aînés des groupes) n'étaient plus suffisantes, la
politique devait permettre d'assurer la cohésion des premières villes, créant de
facto les premières inégalités sociales. Avec notre développement urbain, nous
avons donné naissance à d'innombrables courants de pensées différents. Les
villes et ce qu'elles offraient comme possibilités de communications (écrites ou
orales) et de transports (terrestres et maritimes) ont permis à ces courants
d'être largement diffusés. Cela permis, certes, l'accroissement global de la
culture et de la connaissance, mais généra également des situations
conflictuelles, menant parfois à la ségrégation. La pléthore d'idées que
l'Humain était capable de générer commençait son travail de division
destructrice. L'imposition du christianisme sous Justinien n'est qu'un exemple
parmi d'autres. Ainsi, au fil du temps, nous avons utilisé différentes idées
pour justifier le conflit: de la discrimination de genre au harcèlement sexuel,
du refus de location immobilière à la ségrégation raciale d'État, allant parfois
jusqu'au génocide ou à la guerre mondiale.
Nous étions une espèce sociale, jusqu'au jour où nous avons fondé la société
humaine. Au Moyen-Âge, l'altruisme était une qualité distinguant une caste parmi
les autres (les chevaliers), alors qu'elle était appelée, au moins depuis _H.
neanderthalensis_, à devenir la norme. Depuis le développement du christianisme,
les sciences muselées par la religion étaient principalement dirigées vers la
guerre, anti-sociale par essence. La surpopulation, autrefois localisée
et promptement résolue[@contributeurs_wikipedia_surpopulation_2021] (par la
migration ou la famine) est devenue généralisée et durable, et nous a
déshumanisé, en plus de nous mener à des catastrophes malthusiennes[^malthus]
appelées à se répéter de plus en plus fréquemment, et déjà anticipées par...
Aristote dans _La Politique_[@aristote_politique_1824] au IV^ème^ siècle av.
J.-C., et rappelées notamment par le rapport _Meadows_, _Les Limites à la
croissance_[@meadows_limits_nodate], publié en 1972.
[^malthus]:
Une catastrophe malthusienne, de l'économiste Thomas Robert Malthus
(1766 - 1834), évoque l'effondrement systémique d'une société à cause du
déséquilibre entre sa population et ses capacités à la soutenir.
L'effondrement de lÎle de Pâques pourrait être un exemple de catastrophe
malthusienne survenue chez l'Homme.
Notre expansion sans limites a fini par nous isoler dans nos cultures
respectives: peuplant un monde trop vaste pour maintenir des échanges sociaux,
nous nous sommes contentés d'échanges commerciaux, et ce n'est qu'avec l'aide de
technologies de communications modernes, telles qu'Internet, que nous avons pu
reprendre des interactions sociales complexes. Elles se sont malheureusement
assorties de nos travers les plus sombres, et ont contribué à une propagation
facile, rapide et illimitée de notre haine des autres, prouvant sans effort
notre primitivisme.
Enfin, malgré ces nouvelles technologies, nous n'avons toujours pas de
gouvernement mondial, alors que nous avons colonisé la planète entière, et que
nous commençons notre colonisation de l'espace. Qui pour nous représenter durant
l'hypothétique entretien avec la première civilisation extraterrestre sinon la
première de nos nations qui y parviendra ? Voulons-nous, de but-en-blanc, nous
présenter comme une civilisation divisée, désunie ? Nous serons socialement
primitifs tant que nous n'aurons pas résolu nos problèmes sociaux internes, pour
ensuite créer une entité mondiale capable de nous représenter à l'échelle
planétaire. Et quand nous aurons établi un premier contact, nous devrons faire
de même à l'échelon supérieur: nous devons considérer que nous sommes une
civilisation isolée d'une pluralité d'autres civilisations, et que notre avancée
en tant que telle se situe dans un spectre très large dont nous ne sommes
probablement pas au sommet. Par ailleurs, il n'y a pas que nous, humains, sur
Terre: nous sommes ses invités, comme le sont les Animaux.
Nous avons encore un long chemin à parcourir pour prétendre être réellement
évolués, à commencer par notre unification qui ne pourra passer que par une
évolution de nos communications et des aspects sociaux qu'elles impliquent.

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@ -0,0 +1,186 @@
## Du mauvais usage de la technologie
Nous avons vu que les technologies de communications, dont Internet forme la
branche la plus récente, a fortement contribué à augmenter nos relations
sociales, mais aussi qu'elles ont révélés nos défaillances dans notre rapport à
l'Autre. C'est un peu plus compliqué en réalité: ces défaillances ont
probablement toujours existé, mais elles ne s'exprimaient pas, ou avec moins de
vigueur et d'envergure parce que cela n'était pas "nécessaire" ni/ou
"techniquement" possible. Quand notre population était limitée, nous n'avions
pas vraiment de raisons de nous attaquer aux autres: les ressources étaient
abondantes, l'espace ne manquait pas, il n'y avait pas de compétition entre
individus ou entre groupes[^warfare]. L'organisation des premiers regroupement
d'humains laisse à penser qu'il n'y avait même pas de compétition hiérarchique:
les "proto-sociétés" étaient lignagères, c'est-à-dire que les aînés disposaient
d'une autorité naturelle. Mais avec l'accroissement de la population, et
l'apparition du commerce, nous avons créé une compétition que nous avons cultivé
au fil des siècles. Les communications modernes ne font donc qu'accorder une
plus grande visibilité à une réalité qui existe depuis longtemps, et permettent
de se rendre compte de son amplitude.
[^warfare]:
On a prouvé en 2013 que les conflits au sein des peuples "primitifs"
étaient essentiellement causés par la recherche d'un partenaire sexuel - ce
qui est probablement commun à toutes les espèces sexuées - ou par des
querelles interpersonnelles.
Voir @sheridan_warfare_2013
J'ai moi-même cru pendant longtemps qu'Internet permettrait un partage libre,
illimité, universel de la culture et de la science, et permettrait d'augmenter
positivement nos relations sociales, qu'on se regrouperait en communautés qui
partagent les mêmes centres d'intérêts, et même, qu'il contribuerait à amener la
paix dans le monde. Malheureusement, dans les faits, j'ai dû réviser mon
enthousiasme: nous avons dû inventer des Licences Libres pour partager la
culture (leur variété-même qui, là encore, justifierait l'écriture d'un livre
entier, montre les désaccords pouvant survenir sur la question de la liberté
d'usage de la culture), la science est soumise au droit d'auteur, et la violence
présente sur Internet est inédite en cela qu'elle est visible à tous.
Je pense que pour se prétendre une espèce évoluée, l'Humain doit impérativement
se résoudre à rendre la culture et la science libres, gratuites, accessibles à
tous, sans restrictions d'aucun ordre: ni sociales, ni académiques, ni
ethniques, ni religieuses, ni financières. Les notions d'espionnage industriel,
de brevet, ne devraient pas exister: elles empêchent le progrès. Je crois en la
valeur de la publication qui, seule, doit prouver la paternité d'une œuvre,
culturelle ou scientifique. On soupçonne encore aujourd'hui que ce n'est qu'à
cause d'un brevet déposé, au bon moment de surcroît, que la paternité du
téléphone est attribuée à Alexander Graham Bell
[@contributeurs_wikipedia_controverse_2019]. De plus, c'est l'expiration du
brevet déposé par Bell qui permit l'essor de l'industrie et du commerce du
téléphone acoustique. Je ne perds toutefois pas l'espoir que nous finissions par
nous rendre compte de leur inutilité.
Dans notre société capitaliste, les brevets permettent de gagner de l'argent, et
donc contribuent à un enrichissement égoïste, alors que notre espèce dans son
ensemble devrait bénéficier de toute découverte scientifique ou de toute
création culturelle. La commercialisation de la culture et de la science ne
profite qu'à leurs auteurs, alors que ces disciplines profiteraient à tous. La
civilisation humaine ne peut évoluer qu'à la condition de s'affranchir de ces
viles considérations pécuniaires. Le commerce est né il y a six mille ans au
moins: il est plus que temps de le reléguer à rien de plus qu'un élément -
certes, fondateur - de notre histoire, qui permit l'essor de certaines
civilisations, mais qui fut aussi la source de nos plus grands malheurs, pour
donner naissance à une forme de société évoluée dont la richesse ne se mesure
plus à son économie mais à sa culture et à sa science. Comme la religion en son
temps, le commerce fait aujourd'hui partie des obstacles à l'avancée de notre
espèce, et nous empêche de progresser à un rythme plus soutenu. Bien des
problèmes pourraient déjà avoir été corrigés si nous avions permis à tous de
contribuer, et si leurs contributions avaient été mises à la disposition de
tous.
Car un autre grand malheur de notre temps est de demander aux sciences de
résoudre nos problèmes sociaux. Demander aux hébergeurs de sites Internet de
filtrer la haine, le harcèlement, le racisme dans leurs outils, ou empêcher
pro-activement la diffusion de certains types de contenus, ou leur demander de
mettre hors-ligne des contenus sous protection intellectuelle, c'est demander
une solution technique à des problèmes sociaux. Des problèmes qui gangrènent
notre société depuis bien avant Internet et les réseaux sociaux. Des problèmes
dont on a jamais su se débarrasser, et qu'on cherche simplement à masquer des
moyens de communication modernes. Nous ne résoudrons pas ces problèmes par des
moyens techniques, de même que l'aspirine ne soigne pas du mal de tête: elle ne
fait que masquer un symptôme de quelque chose de potentiellement plus profond.
La technologie ne viendra pas à la rescousse de nos problèmes de discriminations
et de haine de l'Autre. Seule une solution sociale pourra résoudre un problème
social, et une telle solution sera seule garante de notre évolution.
Nous devrons pour cela nous affranchir de l'argent, de l'économie. Considérant
notre enracinement dans le capitalisme, cela risque de prendre du temps, alors
que c'est une discipline jeune, même si les théories sur son origine divergent:
certains comme l'économiste allemand Werner Sombart (1863 - 1941), pensent que
le capitalisme est né au Moyen-Âge[@contributeurs_wikipedia_werner_2021].
D'autre, dont je fais partie, pensent que ce sont les Compagnies des Indes, à
partir du XVI^ème^ siècle, qui en sont à l'origine. Un dogme aussi puissant n'a
pu, selon moi, être imposé qu'avec la force et la détermination martiale. Car
les Compagnies des Indes étaient des flottes marchandes militarisées, tacitement
autorisées à faire feu sur l'ennemi. Elles permirent un commerce mondial, mais
où chaque pays devait faire preuve d'inflexibilité avec ses concurrents. Le
commerce et la guerre devenaient indissociables, et imposaient des restrictions
arbitraires, forçaient le monde à jouer selon des règles drastiques, absurdes,
artificielles. En cela, j'aime assez la vision romantique du film _Pirates des
Caraïbes_ de Disney: elle tranche avec la vision traditionnelle du pirate
sanguinaire, qui devient victime ostracisée, répudiée, parfois corrompue par les
pouvoirs de l'époque. Ne croyez pas que je prenne ce film comme une preuve de ce
que j'avance: je ne fais que mentionner l'existence d'une vision du sujet
diamétralement opposée à la vision populaire antérieure à lœuvre, où, pour une
fois, on nous montre la société capitaliste comme la source du Mal, et les
"pirates" comme des victimes. Notez d'ailleurs que le film est édité par Disney,
qui n'est pas une entreprise de charité.
Les dérives liées au commerce et aux communications sont encore visibles lors de
l'utilisation du télégraphe Chappe: son inventeur, Claude Chappe, se serait jeté
dans un puits de son hôtel en 1805[@contributeurs_wikipedia_claude_2021] parce
que Napoléon Bonaparte voulait réduire les crédits destinés à la construction
des télégraphes et leur mise en service (ce qu'il ne fit pas, finalement ; au
lieu de cela, il étendit le réseau). Puis, au cours de la Révolution de Juillet
en 1830, l'État prit agressivement possession du réseau qui appartenait encore
à la famille Chappe. Enfin, à partir de 1832, les frères Michel
[@contributeurs_wikipedia_michel_2017] et François Blanc, frères financiers et
probablement les premiers pirates de réseaux de communication de l'histoire de
France[@contributeurs_wikipedia_piratage_2021], détournèrent l'usage des
télégraphes pour commettre un délit d'initié: ils obtinrent de cette façon des
informations relatives à la Bourse avant tout le monde. Capitalisme et
malveillance vont toujours de pair aujourd'hui encore.
Si l'on supprimait l'argent, le capitalisme, la bourse, l'héritage financier, et
tous ces processus typiquement humains (qu'on ne retrouve nulle part ailleurs
dans le monde), cela nous conduirait forcément à supprimer une grande partie de
nos problèmes sociaux, puisque nous supprimerions de fait nos inégalités
sociales: en l'absence d'argent, nous serions tous égaux, comme le veux le
slogan martelé sans relâche par le Conseil de l'Europe depuis 1995[^coe]. En
l'absence d'inégalités sociales, nous aurions toujours des raisons pour haïr
l'Autre, mais au moins elles ne concerneraient plus le plus puissant des outils
de clivage inventés par l'Homme avec la religion.
[^coe]: <https://www.coe.int/fr/web/compass/45>
La première étape vers un tel changement de paradigme consisterait en
l'établissement d'un revenu universel. Quelques temps après, nous nous
figurerons que l'argent n'est pas - ou plus - la motivation des individus pour
travailler. Il ne fait aucun doute que certains profiterons de ce système pour
"ne rien faire", au moins au début (ils seront probablement rapidement rongés
par la lassitude), mais pour d'autres, cela peut représenter des opportunités
inespérées d'accomplir des choses que la société actuelle leur refuse. Un simple
passionné de sciences pourrait contribuer à son domaine, juste parce qu'il en
est passionné, et affranchi de l'obligation de posséder des diplômes pour ce
faire. Nous pourrions résoudre les crises liées au logement, si chacun était en
mesure de bâtir une maison sans risquer d'y laisser la vie. On pourrait avoir
une existence sociale, non plus caractérisée par notre rang, mais par ce qu'on
apporte à la société. Nous serions tous acteurs de la réussite de l'espèce
humaine, au lieu de n'être que des "employés", voire encore des esclaves, dans
des métiers qui ne nous passionnent pas, à des postes sans rapports avec nos
compétences réelles, et pour des entreprises dans lesquelles nous ne nous
investissons plus. Supprimer la notion de ressources ferait (ré)apparaitre la
notion de valeur personnelle, ce qui permettrait aux individus de sentir plus
heureux, et pourrait contribuer significativement à améliorer leurs relations
avec les autres, voire augmenter le nombre de Dunbar de _Homo sapiens_, et
éventuellement, améliorerait l'espèce culturellement, scientifiquement et
socialement.
On retrouve un problème similaire directement au sein des domaines techniques.
Les dogmes sociaux tels que notre impact sur l'environnement incitent nos
gouvernements, partout sur Terre, à demander une solution technologique à un
problème réellement social. Les sciences nous ont doté d'outils fondamentalement
polluants: les usines, les voitures, les avions, les manufactures. Nous
pourrions avoir un usage raisonné de nos véhicules, nous pourrions disposer de
moyens de locomotion, de production de l'énergie, de manufacture qui n'altèrent
pas la biosphère terrestre. Nous ne les mettons pas en œuvre parce qu'ils
coûtent chers, que la désinformation - par la politique, mais aussi par les
croyances populaires - nous ancre dans des craintes infondées, et parce que nous
sommes fainéants. Des problèmes... économiques et sociaux, pas technologiques.
Supprimons l'économie, résolvons nos problèmes sociaux, pour permettre à la
science de continuer ses recherche sur la production d'énergie et la création de
manufactures sans impact environnemental. Et tâchons de retrouver notre bon
sens, celui qui nous permettait de vivre à une vitesse normale, avant
l'avènement des réseaux de communication rapides et longue-distance. Si les gens
avaient un revenu universel, ils travailleraient pour eux, plus pour les autres,
et n'auraient plus besoin de se déplacer autant, et donc verraient leur
empreinte environnementale réduite, voire supprimée. Les entreprises pourraient
compter sur une main dœuvre peuplée d'activistes impliqués et passionnés, plus
sur de simples employés. Littéralement tout le monde aurait à gagner à la
résolution de ces problèmes sociaux, y compris la biosphère, c'est-à-dire
l'ensemble des espèces vivantes avec lesquelles on partage cette planète, mais
cela faciliterait également notre premier contact avec une civilisation
extraterrestre, Saint-Graal de l'astronomie. Une telle découverte nous mettrait,
une fois pour toutes, face à l'évidence de notre primitivisme, et pourrait tout
à la fois nous en sauver ou au contraire causer notre extinction.

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@ -0,0 +1,111 @@
## Vers une société astronomique
Quand il s'agit d'entrer en communication avec une civilisation extraterrestre,
je vois trois cas de figure.
Soit c'est nous qui faisons le premier pas: nous nous présentons, de façon
pacifique. C'est la démarche scientifique, inaugurée par les sondes Pioneer.
Nous allons activement à la rencontre d'autres civilisations. C'est un fait
scientifique depuis 1972. La fiction nous propose des histoires alternatives,
où nous jouons un rôle plus actif dans l'exploration de l'univers, et où nous
finissons par devenir les garants de la sécurité globale, y compris dans des
conflits entre civilisations extraterrestres dans lesquels nous n'avions pas à
prendre part.
Soit une civilisation extraterrestre entre en contact avec nous. Comme il n'est
pas prouvé que c'est déjà arrivé, nous ne pouvons que spéculer sur notre
comportement face à une telle situation, et comme souvent, la fiction a déjà
exploré ce domaine. D'ailleurs, Andrew Fraknoi de l'Université de San Francisco
nous a proposé en 2019 une liste des histoires de science fiction traitant
correctement de l'astronomie et de la physique[@fraknoi_science_2019]. Et on
s'aperçoit que, statistiquement, les œuvres anticipant des rapports pacifiques
avec une civilisation extraterrestre qui entrerait activement en contact avec
nous sont plutôt rares. On les présente alors souvent comme une espèce qui a
épuisé les ressources de sa planète d'origine, et malheureusement, la planète
suivante dans sa liste est la notre. S'ensuit une lutte pour notre survie. Un
thème qui pouvait sembler terrifiant pendant des dizaines d'années, mais qui
aujourd'hui me semble éculé. Le chef dœuvre du genre reste, selon moi, _La
Guerre des Mondes_[@wells_guerre_1898], publié en 1898 par Herbert George Wells
(1866 - 1946). Son analyse mériterait d'être beaucoup plus exhaustive, mais je
vais me limiter à ce qui nous intéresse ici: nous luttons face à un envahisseur,
comme des fourmis pourraient lutter contre la construction d'une maison humaine
sur leur fourmilière. Et ce n'est que parce que les extraterrestres ne sont pas
immunisés face aux microbes terrestres que nous avons échappé à l'extermination.
Ce roman doit graver dans nos esprits deux choses: nous pourrions être
nous-mêmes ces extraterrestres, nous pourrions nous-mêmes anéantir toute une
civilisation au motif de vouloir, ou devoir, nous installer ailleurs, et ce sans
même le savoir, mais est-ce vraiment ce que nous voulons ? Et d'autre part, nous
devons rester humbles, surtout face à l'inconnu, car nous pourrions ne pas nous
révéler à la hauteur et risquer l'extinction.
Enfin, il se pourrait qu'une civilisation extraterrestre soit humaine: si nous
envoyons effectivement une colonie permanente sur la lune, voire sur Mars, au
cours des prochaines décennies, et sur d'autres planètes dans les siècles à
venir, nous devons réfléchir à comment éviter un conflit avec ces colonies.
Rappelons que de telles colonies seraient vraisemblablement internationales, et
qu'elles pourraient donc, structurellement, représenter notre espèce auprès
d'autres civilisations non-humaines dans l'espace, alors que dans le même
moment, nous restons nous-mêmes divisés sur Terre. Chaque groupe que nous
envoyons dans l'espace n'est pour le moment qu'une équipe de chercheurs. Quand
nous enverrons des colons sur un objet astronomique, ils seront à l'origine
d'une société, indépendante - de fait - des nôtres, sur laquelle nous n'aurons
pas de contrôle. C'est la raison pour laquelle nous devrions unifier nos
sociétés, les rendre inclusives, pacifiquement, atteindre l'unification des
peuples que j'ai mentionné antérieurement, avant de songer à créer de telles
sociétés. Car, à l'heure actuelle, rien ne me laisse à penser qu'un conflit ne
pourrait pas éclater entre ces colonies et nous. Rien que le terme "colonie"
fait référence à de trop nombreuses tentatives pour un gouvernement central de
fédérer des pays distants, qui, presque tous, ont opté aujourd'hui pour
l'indépendance. Changeons notre vocabulaire, prenons garde de ne pas répéter nos
erreurs historiques, et gardons à l'esprit que ces "avant-postes astronomiques"
seront des sociétés humaines, scientifiques de surcroît
Dans tous les cas de figure, il faut dès aujourd'hui anticiper des
communications régulières, à très longue distance et à très haut débit. Il
faudrait que, dès l'établissement du premier avant-poste permanent, nous
disposions avec lui de capacités de communications au moins aussi avancées que
ce dont nous disposons actuellement sur Terre, ce qui, pour l'heure, n'est pas
possible. En l'absence de communications efficaces, nous ne pourrons pas
entretenir de relations efficaces avec cet avant-poste. Sans relations, pas de
structure sociale. Sans structure sociale, pas de civilisation. Nous devons, à
l'heure actuelle, résoudre nos problèmes sociaux pour faire avancer la science,
mais envoyer trop tôt des sociétés s'établir de façon permanente sur d'autres
corps astronomiques nous obligerait à faire avancer notre technologie pour
permettre des relations sociales avec elles. Ce qui nous ferait immanquablement
stagner dans les deux disciplines, alors même que nous serions persuadés d'être
extrêmement avancés de par la présence-même de ces colons où ils se seront
établis. C'est là qu'est tout le danger de croire aveuglément en la capacité de
la science à résoudre tous les problèmes, alors qu'en vérité, elle ne devrait
servir qu'à formuler des théories et les prouver par l'expérience, afin
d'améliorer notre compréhension du monde, et pas interférer avec celui-ci.
Dans un univers âgé de plus de treize milliards d'années, _Homo sapiens_ ne vit
que depuis trois cent mille ans. Nous devons admettre que d'autres espèces
existent dans cet univers, et qu'elles ont évolué depuis plus longtemps que
nous. Il est scientifiquement possible d'admettre que certaines espèces ont pu
évolué pendant quelques milliards d'années, et qu'elles disposeraient donc de
capacités, physiques ou techniques, que nous n'avons même encore jamais imaginé.
Si c'est un fait que la science admet généralement bien aujourd'hui, les
populations non-académiques ont encore du mal avec cette idée. Beaucoup
n'admettent même pas l'idée qu'il existe autre chose que nous au-delà de notre
système solaire. Au même titre que nous n'admettions pas qu'il puisse exister
autre chose au-delà de la mer dans l'Antiquité.
Une société astronomique pourrait entraîner la résolution du problème de la
surpopulation. Après tout, la notion de surpopulation est intrinsèquement liée à
la couverture géographique: dans l'espace, il y a suffisamment de place pour
tout le monde, et probablement pour longtemps. Nous ne sommes évidemment pas
prêts pour entreprendre la colonisation de l'espace, face aux difficultés que
cela représente à l'heure actuelle. En allant sur notre lune, nous avons glissé
le bout d'un orteil dans l'eau glacée avant de le retirer aussitôt, et nous n'en
sommes qu'à projeter de poser un pied sur Mars. Il est certain que cela prendra
du temps avant de pouvoir établir des colonies permanentes au-delà de notre
atmosphère, et nous faisons tout pour y parvenir. Mais notre réussite sera
surtout technique, et nous incitera à pousser de plus en plus loin, sans que
jamais ne se pose la question "devrions-nous le faire ?". Je n'ai toujours pas
résolu ce paradoxe malgré mes réflexions sur le sujet: devrions-nous insister
dans notre entêtement à nous installer de plus en plus loin, grâce à un espace
"infini", si possible à un rythme suffisant pour inverser la tendance à la
surpopulation, ce qui résoudrait (ou en tout cas masquerait significativement)
nos problèmes sociaux, ou devrions-nous chercher une solution plus directe à ces
problèmes _en premier lieu_ ?

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@ -0,0 +1,78 @@
# Conclusion
Vous vous en doutez, ma conclusion sera: nous sommes primitifs. Nous avons perdu
beaucoup de temps avec le commerce, la religion et la surpopulation. Plus de
deux mille ans qui, s'ils avaient été entièrement dédiés à l'accroissement de
nos connaissances, auraient pu permettre de résoudre, voire éviter, bien des
problèmes de notre temps.
La science s'est affranchie de la religion. L'étape suivante, pour que l'espèce
humaine continue sa progression sera la suppression de l'argent et du travail,
qui supprimera de fait la plus grande partie des inégalités sociales. Il en
restera toujours (principalement à cause de notre organisation en vastes
sociétés), mais au moins nous nous serons débarrassés des plus importantes. Ce
qui nous permettra, peut-être, un retour à une humilité oubliée depuis que nous
nous sommes considérés comme une création divine. Avec l'humilité devrait
également revenir le bon-sens. Nous pouvons faire des choses, c'est-à-dire que
nous sommes en capacité technique de les faire, et nous ne nous demandons pas si
nous devrions les faire. Prendre sa voiture pour faire cinq cent mètres, raser
une forêt, jeter un gobelet en plastique en pleine nature, construire des
barrages, harceler une femme en jupe, accuser injustement un homme de
pédophilie, tout cela, nous sommes techniquement capables de le faire, et nous
osons brandir l'étendard de la liberté et du progrès pour le justifier, alors
que c'est "juste" manquer de bon-sens, c'est-à-dire l'instinct primaire dont
nous nous sommes séparé et qui nous permettait d'être en symbiose avec notre
environnement, donc sans interférer avec lui négativement.
Si nous regagnions notre bon-sens, nous devrions donc dans le même temps réparer
nos rapports sociaux, complètement dysfonctionnels à l'heure actuelle, et nous
n'aurons pas besoin d'un pansement sur une jambe de bois, concocté par des
pseudo-sciences, pour y remédier. Nous pourrions même réparer, reconstruire,
voire créer des relations sociales avec d'autres espèces, ici-même, sur
"notre" Terre. Nous pourrions retrouver un intérêt pour des sociétés dont les
plus urbains ignorent jusqu'à l'existence, des sociétés complexes, mises en
évidence notamment par l'immense Jane Goodall chez les chimpanzés, nos plus
proches cousins génétiques, qui a travaillé auprès d'eux depuis 1960, à qui
l'on doit de profond changements dans notre perception des autres Primates, au
point d'avoir laissé son empreinte sur le Disque d'Or de Voyager. Nous pourrions
trouver un moyen d'échanger, autrement que commercialement, avec d'autres
cultures, avec des sociétés qui ont fait le choix de ne pas vivre selon notre
mode de vie occidental, nous leur serions plus accessibles, et elles nous
seraient plus accessibles. Nous n'exclurions plus les Autres comme nous le
faisons actuellement. Nous n'aurions plus cette idée surannée que nous n'avons
plus rien à apprendre, que nous sommes bien plus "civilisés" que ces sociétés
"primitives" non-capitalistes.
Nous n'aurions plus à demander à la science de réparer nos dégâts sociaux, et
elle pourrait enfin se focaliser sur son but premier: nous instruire, nous faire
évoluer, nous permettre de créer des énergies plus efficaces, n'ayant aucun
impact sur l'environnement, des moyens de communications et de transports plus
performants, qui nous permettraient de maintenir un contact permanent avec des
mondes distants.
Nous devons nous poser la question: que voulons-nous pour notre avenir ? Qu'en
attendons-nous ? Allons-nous rester égoïstes en ne pensant qu'à notre propre
génération, peut importe ce qu'il advient à notre mort, ou choisirons-nous
plutôt la voie de la modernisation ? Allons-nous complètement abandonner toute
forme de réflexion au motif que ce n'est pas "fun" ? Allons-nous rester
passivement, paresseusement à attendre de voir ce qui va se passer, en se disant
qu'on ne peut rien changer à rien ? Allons-nous continuer de ne nous préoccuper
que de nous, sans aucunement prendre en compte notre impact sur absolument et
littéralement tout le reste ? Allons-nous simplement attendre que la science
trouve encore des façons de plus en plus explicites de nous prouver que nous
sommes dramatiquement primitifs et égoïstes, ou allons-nous plutôt agir pour que
cela n'arrive pas ? Notre évolution ne passera pas que par la science. Les
scientifiques avancent, mais la société dans son ensemble le doit aussi pour que
_Homo sapiens_ progresse. Nous sommes une somme des connaissances et des
évolutions physiques des espèces depuis la bactérie, et d'autres de ces sommes
existent, ici et sûrement ailleurs. Allons-nous systématiquement nous enfermer
dans un système martial avec elles (au risque de les faire disparaître ou de
disparaître nous-mêmes), ou voulons-nous partager, échanger, évoluer ensemble ?
Pourquoi, aujourd'hui, continuerions-nous de faire des choix destructifs plutôt
que constructifs ? Par paresse ? Par égoïsme ?
En fin de compte, et c'est le message que j'essaye de faire passer: ne nous
laissons plus aller à la simplicité des mauvais choix. Affrontons la complexité
et résolvons-la. Nous nous entêtons à ne faire que de mauvais usages de ce que
l'on apprend depuis deux mille ans. Consacrons les deux mille années suivantes à
des usages positifs, enfin dans un but évolutif, et non plus destructif.

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@ -0,0 +1,54 @@
# Attributions {epub:type=credits}
Image de couverture
: _Paul the Apostat_, Lucas van Leyden (1494 - 1533), 1520, Domaine public
Image #1
: Par Ivica Letunic: Iletunic. Retraced by Mariana Ruiz Villarreal:
LadyofHats — The image was generated using iTOL: Interactive Tree Of Life,
an online phylogenetic tree viewer and Tree Of Life resource. SVG retraced
image from ITOL Tree of life.jpg[2], Domaine public,
<https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=3633804>
Image #2
: Contributeurs Wikipédia, <https://fr.wikipedia.org/wiki/Hominina>
Images #3, #4, #5, #6, #7
: Richard Dern - Réalisations personnelles - Creative Commons Attribution -
Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International, 2021
Image #8
: Par User:Bibi Saint-Pol — Réalisation personnelle (adaptation du PNG de
User:Gwwfps, en:Image:Anaximandermap.png, basé sur l'ouvrage de John Mansley'
Robinson, Introduction to Early Greek Philosophy, Houghton and Mifflin,
1968, ISBN 0395053161)., Domaine public,
<https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=1453340>
Image #9
: Par HB sur Wikipédia français — Transféré de fr.wikipedia à Commons par
Korrigan utilisant CommonsHelper., Domaine public,
<https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=4859519>
Image #10
: Par Willow Gabriel, Goldstein Lab —
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Transféré de en.wikipedia à Commons., CC BY-SA 2.5,
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Image #11
: Par NOAA — <http://www.pmel.noaa.gov/vents/gallery/smoker-images.html>,
Domaine public, <https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=15002840>
Image #12
: Par Bouftoubleu — Travail personnel, CC BY-SA 4.0,
<https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=88680625>
Image #13
: Par Vectors by Oona Räisänen (Mysid); designed by Carl Sagan & Frank Drake;
artwork by Linda Salzman Sagan — Vectorized in CorelDRAW from NASA image
GPN-2000-001623, Domaine public,
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Image #14
: Par NASA/JPL — The Sounds of Earth Record Cover, Domaine public,
<https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=137443>

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