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2021-05-31 22:33:13 +02:00
## Du mauvais usage de la technologie
Nous avons vu que les technologies de communications, dont Internet forme la
branche la plus récente, a fortement contribué à augmenter nos relations
sociales, mais aussi qu'elles ont révélés nos défaillances dans notre rapport à
l'Autre. C'est un peu plus compliqué en réalité: ces défaillances ont
probablement toujours existé, mais elles ne s'exprimaient pas, ou avec moins de
vigueur et d'envergure parce que cela n'était pas "nécessaire" ni/ou
"techniquement" possible. Quand notre population était limitée, nous n'avions
pas vraiment de raisons de nous attaquer aux autres: les ressources étaient
abondantes, l'espace ne manquait pas, il n'y avait pas de compétition entre
individus ou entre groupes[^warfare]. L'organisation des premiers regroupement
d'humains laisse à penser qu'il n'y avait même pas de compétition hiérarchique:
les "proto-sociétés" étaient lignagères, c'est-à-dire que les aînés disposaient
d'une autorité naturelle. Mais avec l'accroissement de la population, et
l'apparition du commerce, nous avons créé une compétition que nous avons cultivé
au fil des siècles. Les communications modernes ne font donc qu'accorder une
plus grande visibilité à une réalité qui existe depuis longtemps, et permettent
de se rendre compte de son amplitude.
[^warfare]:
On a prouvé en 2013 que les conflits au sein des peuples "primitifs"
étaient essentiellement causés par la recherche d'un partenaire sexuel - ce
qui est probablement commun à toutes les espèces sexuées - ou par des
querelles interpersonnelles.
Voir @sheridan_warfare_2013
J'ai moi-même cru pendant longtemps qu'Internet permettrait un partage libre,
illimité, universel de la culture et de la science, et permettrait d'augmenter
positivement nos relations sociales, qu'on se regrouperait en communautés qui
partagent les mêmes centres d'intérêts, et même, qu'il contribuerait à amener la
paix dans le monde. Malheureusement, dans les faits, j'ai dû réviser mon
enthousiasme: nous avons dû inventer des Licences Libres pour partager la
culture (leur variété-même qui, là encore, justifierait l'écriture d'un livre
entier, montre les désaccords pouvant survenir sur la question de la liberté
d'usage de la culture), la science est soumise au droit d'auteur, et la violence
présente sur Internet est inédite en cela qu'elle est visible à tous.
Je pense que pour se prétendre une espèce évoluée, l'Humain doit impérativement
se résoudre à rendre la culture et la science libres, gratuites, accessibles à
tous, sans restrictions d'aucun ordre: ni sociales, ni académiques, ni
ethniques, ni religieuses, ni financières. Les notions d'espionnage industriel,
de brevet, ne devraient pas exister: elles empêchent le progrès. Je crois en la
valeur de la publication qui, seule, doit prouver la paternité d'une œuvre,
culturelle ou scientifique. On soupçonne encore aujourd'hui que ce n'est qu'à
cause d'un brevet déposé, au bon moment de surcroît, que la paternité du
téléphone est attribuée à Alexander Graham Bell
[@contributeurs_wikipedia_controverse_2019]. De plus, c'est l'expiration du
brevet déposé par Bell qui permit l'essor de l'industrie et du commerce du
téléphone acoustique. Je ne perds toutefois pas l'espoir que nous finissions par
nous rendre compte de leur inutilité.
Dans notre société capitaliste, les brevets permettent de gagner de l'argent, et
donc contribuent à un enrichissement égoïste, alors que notre espèce dans son
ensemble devrait bénéficier de toute découverte scientifique ou de toute
création culturelle. La commercialisation de la culture et de la science ne
profite qu'à leurs auteurs, alors que ces disciplines profiteraient à tous. La
civilisation humaine ne peut évoluer qu'à la condition de s'affranchir de ces
viles considérations pécuniaires. Le commerce est né il y a six mille ans au
moins: il est plus que temps de le reléguer à rien de plus qu'un élément -
certes, fondateur - de notre histoire, qui permit l'essor de certaines
civilisations, mais qui fut aussi la source de nos plus grands malheurs, pour
donner naissance à une forme de société évoluée dont la richesse ne se mesure
plus à son économie mais à sa culture et à sa science. Comme la religion en son
temps, le commerce fait aujourd'hui partie des obstacles à l'avancée de notre
espèce, et nous empêche de progresser à un rythme plus soutenu. Bien des
problèmes pourraient déjà avoir été corrigés si nous avions permis à tous de
contribuer, et si leurs contributions avaient été mises à la disposition de
tous.
Car un autre grand malheur de notre temps est de demander aux sciences de
résoudre nos problèmes sociaux. Demander aux hébergeurs de sites Internet de
filtrer la haine, le harcèlement, le racisme dans leurs outils, ou empêcher
pro-activement la diffusion de certains types de contenus, ou leur demander de
mettre hors-ligne des contenus sous protection intellectuelle, c'est demander
une solution technique à des problèmes sociaux. Des problèmes qui gangrènent
notre société depuis bien avant Internet et les réseaux sociaux. Des problèmes
dont on a jamais su se débarrasser, et qu'on cherche simplement à masquer des
moyens de communication modernes. Nous ne résoudrons pas ces problèmes par des
moyens techniques, de même que l'aspirine ne soigne pas du mal de tête: elle ne
fait que masquer un symptôme de quelque chose de potentiellement plus profond.
La technologie ne viendra pas à la rescousse de nos problèmes de discriminations
et de haine de l'Autre. Seule une solution sociale pourra résoudre un problème
social, et une telle solution sera seule garante de notre évolution.
Nous devrons pour cela nous affranchir de l'argent, de l'économie. Considérant
notre enracinement dans le capitalisme, cela risque de prendre du temps, alors
que c'est une discipline jeune, même si les théories sur son origine divergent:
certains comme l'économiste allemand Werner Sombart (1863 - 1941), pensent que
le capitalisme est né au Moyen-Âge[@contributeurs_wikipedia_werner_2021].
D'autre, dont je fais partie, pensent que ce sont les Compagnies des Indes, à
partir du XVI^ème^ siècle, qui en sont à l'origine. Un dogme aussi puissant n'a
pu, selon moi, être imposé qu'avec la force et la détermination martiale. Car
les Compagnies des Indes étaient des flottes marchandes militarisées, tacitement
autorisées à faire feu sur l'ennemi. Elles permirent un commerce mondial, mais
où chaque pays devait faire preuve d'inflexibilité avec ses concurrents. Le
commerce et la guerre devenaient indissociables, et imposaient des restrictions
arbitraires, forçaient le monde à jouer selon des règles drastiques, absurdes,
artificielles. En cela, j'aime assez la vision romantique du film _Pirates des
Caraïbes_ de Disney: elle tranche avec la vision traditionnelle du pirate
sanguinaire, qui devient victime ostracisée, répudiée, parfois corrompue par les
pouvoirs de l'époque. Ne croyez pas que je prenne ce film comme une preuve de ce
que j'avance: je ne fais que mentionner l'existence d'une vision du sujet
diamétralement opposée à la vision populaire antérieure à lœuvre, où, pour une
fois, on nous montre la société capitaliste comme la source du Mal, et les
"pirates" comme des victimes. Notez d'ailleurs que le film est édité par Disney,
qui n'est pas une entreprise de charité.
Les dérives liées au commerce et aux communications sont encore visibles lors de
l'utilisation du télégraphe Chappe: son inventeur, Claude Chappe, se serait jeté
dans un puits de son hôtel en 1805[@contributeurs_wikipedia_claude_2021] parce
que Napoléon Bonaparte voulait réduire les crédits destinés à la construction
des télégraphes et leur mise en service (ce qu'il ne fit pas, finalement ; au
lieu de cela, il étendit le réseau). Puis, au cours de la Révolution de Juillet
en 1830, l'État prit agressivement possession du réseau qui appartenait encore
à la famille Chappe. Enfin, à partir de 1832, les frères Michel
[@contributeurs_wikipedia_michel_2017] et François Blanc, frères financiers et
probablement les premiers pirates de réseaux de communication de l'histoire de
France[@contributeurs_wikipedia_piratage_2021], détournèrent l'usage des
télégraphes pour commettre un délit d'initié: ils obtinrent de cette façon des
informations relatives à la Bourse avant tout le monde. Capitalisme et
malveillance vont toujours de pair aujourd'hui encore.
Si l'on supprimait l'argent, le capitalisme, la bourse, l'héritage financier, et
tous ces processus typiquement humains (qu'on ne retrouve nulle part ailleurs
dans le monde), cela nous conduirait forcément à supprimer une grande partie de
nos problèmes sociaux, puisque nous supprimerions de fait nos inégalités
sociales: en l'absence d'argent, nous serions tous égaux, comme le veux le
slogan martelé sans relâche par le Conseil de l'Europe depuis 1995[^coe]. En
l'absence d'inégalités sociales, nous aurions toujours des raisons pour haïr
l'Autre, mais au moins elles ne concerneraient plus le plus puissant des outils
de clivage inventés par l'Homme avec la religion.
[^coe]: <https://www.coe.int/fr/web/compass/45>
La première étape vers un tel changement de paradigme consisterait en
l'établissement d'un revenu universel. Quelques temps après, nous nous
figurerons que l'argent n'est pas - ou plus - la motivation des individus pour
travailler. Il ne fait aucun doute que certains profiterons de ce système pour
"ne rien faire", au moins au début (ils seront probablement rapidement rongés
par la lassitude), mais pour d'autres, cela peut représenter des opportunités
inespérées d'accomplir des choses que la société actuelle leur refuse. Un simple
passionné de sciences pourrait contribuer à son domaine, juste parce qu'il en
est passionné, et affranchi de l'obligation de posséder des diplômes pour ce
faire. Nous pourrions résoudre les crises liées au logement, si chacun était en
mesure de bâtir une maison sans risquer d'y laisser la vie. On pourrait avoir
une existence sociale, non plus caractérisée par notre rang, mais par ce qu'on
apporte à la société. Nous serions tous acteurs de la réussite de l'espèce
humaine, au lieu de n'être que des "employés", voire encore des esclaves, dans
des métiers qui ne nous passionnent pas, à des postes sans rapports avec nos
compétences réelles, et pour des entreprises dans lesquelles nous ne nous
investissons plus. Supprimer la notion de ressources ferait (ré)apparaitre la
notion de valeur personnelle, ce qui permettrait aux individus de sentir plus
heureux, et pourrait contribuer significativement à améliorer leurs relations
avec les autres, voire augmenter le nombre de Dunbar de _Homo sapiens_, et
éventuellement, améliorerait l'espèce culturellement, scientifiquement et
socialement.
On retrouve un problème similaire directement au sein des domaines techniques.
Les dogmes sociaux tels que notre impact sur l'environnement incitent nos
gouvernements, partout sur Terre, à demander une solution technologique à un
problème réellement social. Les sciences nous ont doté d'outils fondamentalement
polluants: les usines, les voitures, les avions, les manufactures. Nous
pourrions avoir un usage raisonné de nos véhicules, nous pourrions disposer de
moyens de locomotion, de production de l'énergie, de manufacture qui n'altèrent
pas la biosphère terrestre. Nous ne les mettons pas en œuvre parce qu'ils
coûtent chers, que la désinformation - par la politique, mais aussi par les
croyances populaires - nous ancre dans des craintes infondées, et parce que nous
sommes fainéants. Des problèmes... économiques et sociaux, pas technologiques.
Supprimons l'économie, résolvons nos problèmes sociaux, pour permettre à la
science de continuer ses recherche sur la production d'énergie et la création de
manufactures sans impact environnemental. Et tâchons de retrouver notre bon
sens, celui qui nous permettait de vivre à une vitesse normale, avant
l'avènement des réseaux de communication rapides et longue-distance. Si les gens
avaient un revenu universel, ils travailleraient pour eux, plus pour les autres,
et n'auraient plus besoin de se déplacer autant, et donc verraient leur
empreinte environnementale réduite, voire supprimée. Les entreprises pourraient
compter sur une main dœuvre peuplée d'activistes impliqués et passionnés, plus
sur de simples employés. Littéralement tout le monde aurait à gagner à la
résolution de ces problèmes sociaux, y compris la biosphère, c'est-à-dire
l'ensemble des espèces vivantes avec lesquelles on partage cette planète, mais
cela faciliterait également notre premier contact avec une civilisation
extraterrestre, Saint-Graal de l'astronomie. Une telle découverte nous mettrait,
une fois pour toutes, face à l'évidence de notre primitivisme, et pourrait tout
à la fois nous en sauver ou au contraire causer notre extinction.