La série suit Midge Maisel, jeune femme juive de l’Upper West Side à la fin des années 50, mariée, deux enfants, dans ses pérégrinations dans le stand-up.
Charmante et charmeuse, distinguée et maniérée, elle rappelle sans mal une certaine Bree van de Kamp dans *Desperate Housewives*, mais brune et après-guerre.
Presqu’inébranlable, hyperactive, inépuisable, elle n’en est pas moins touchante ; elle affronte tout ce que la Vie lui jette tout en restant droite, la tête haute et les yeux ouverts (parfois naïfs, mais ouverts tout de même).
C’est une icône, évidemment : la série rappelle constamment l’état des rapports sociaux de l’époque, particulièrement entre hommes et femmes (ce qui permet de comparer avec leur état actuel, toute fictionnelle que soit cette série), offrant à la fois une voix et des prétextes à des discours féministes distillés avec intelligence et pertinence.
Je suis pris d’une affection particulière pour Rose, malgré son intérêt pour les diseuses de bonne aventure : elle a beau être une femme au foyer, élégante et raffinée à toute heure du jour ou de la nuit (ce qu’elle a d’ailleurs transmis à sa fille), elle n’est pas complètement soumise pour autant.
Et mon affection pour son mari n’est pas étrangère à sa compréhension et son soutient indéfectible à son épouse et à sa fille.
Le cas de ce personnage est intéressant : certes, dans l’épisode pilote, on apprend qu’il souhaite rompre avec Midge et qu’il a eu une aventure avec sa secrétaire.
Mais, loin du cliché du mari infidèle habituellement servi, stupidement égotiste, Joel Maisel s’avère être un personnage plus travaillé que ça.
On en viendrait presque à lui pardonner son écart initial, mais je n’en dirai pas plus pour ne pas gâcher la surprise (la votre comme la mienne, étant donné que je n’ai pas encore terminé la série à l’écriture de ces lignes).
Qu’il est bon de se tenir éloigné des intrigues, complots et autres assassinats, à qui les grosses séries des deux dernières décennies font la part belle…
Qu’il est bon, aussi, d’éviter les séries stupidement drôles, qui ne font rire que pour le prétexte de rire, sans la moindre petite réflexion, même cachée.
Le scénario de *Mrs Maisel* réussi ce qui semble être un équilibre précaire entre le réalisme et l’humour, et qui s’offre en plus le luxe de se rajouter des difficultés.
Car, non contente de proposer un pitch original sans être absurde, la série transcende des sujets aussi épineux que le féminisme donc, spécifiquement dans le stand-up mais aussi dans la société en général, tout en dépeignant des personnages masculins de façon beaucoup moins négative que d’habitude.
Le message féministe diffusé par la série n’en est que renforcé.
Je sais que j’en parle beaucoup, mais il ne faudrait pas réduire *Mrs Maisel* à une simple comédie féministe.
Effectivement, il est question de la place des femmes dans la société, mais c’est avant tout l’histoire d’une jeune femme qui tente de percer dans l’art du stand-up et de l’humour, tout en gérant les autres aspects de sa vie, et notamment sa situation personnelle, tiraillée entre son mari, ses parents, ses enfants et ses amis.
En fait, c’est une série sur les super-pouvoirs des femmes : ce travail qu’elles n’ont pas dans une entreprise, elles l’ont au dehors, à la maison, au sein-même de la famille, et parfois au-delà, en devenant amies, confidentes, épongeant les malheurs des autres, psychologue de pilier de bar (logiquement, en tant qu’humoriste débutant une carrière).
La main sur le coeur, altruiste, chrétienne - si j’ose dire, toute scène avec un tempo élevé donne à voir une Midge Maisel dans son élément : le stress l’alimente, et la transforme en une authentique *Wonder-Woman*, capable de tout gérer sans mauvaise contrepartie, ou presque, devenant de fait un modèle pour toute les autres femmes, de la fiction mais aussi chez les spectatrices, qui doivent se sentir inspirées par un personnage aussi charismatique et entraînant.
Rien n’est jamais insipide ; pourtant, rien ne paraît complètement absurde.
La surenchère de situations comiques n’a que le prétexte de la naïveté de Midge, due à son intronisation dans les couches plus basses de la société qu’elle n’a pas l’habitude de fréquenter.
Et cette “surenchère” est constamment pondérée par des situations plus sérieuses, sans toutefois tomber dans la tragédie la plus sombre.
La nudité est très occasionnelle (“inévitable” dans l’épisode pilote pour appâter, rare dans le reste de la série, mais pour une fois mesdames pourront aussi se régaler) et ne donne pas l’impression d’être nécessaire à garder l’intérêt du public pour la série.
Point ici de scènes inutilement explicites : ce n’est pas une série pour se rincer l’oeil.
À mon sens, et ça vaut ce que ça vaut venant d’un homme hétérosexuel, il n’y a pas de sexualisation abusive, seulement des élégances (différentes selon les personnages) dont seules les femmes sont capables.
Ceci dit, il est vrai que le langage est souvent discordant avec la classe inhérente au personnage de Midge : c’est d’ailleurs un élément comique presque central.
Mais là encore, ce ressort n’est pas abusivement utilisé.
Les jurons sont aussi naturels qu’ils peuvent l’être.
À mon sens, la classification de la série (jusqu’à l’interdiction aux moins de 18 ans sur certains épisodes) est, sur ce point aussi, très sévère.
En revanche, et c’est probablement la raison principale de cette classification, les différents protagonistes passent leur temps à fumer (parfois pas que du tabac) et à boire de l’alcool.
Ça me semble historiquement cohérent (après la Prohibition jusqu’en 1933 puis la guerre mondiale), et dans un monde idéal, il n’y aurait pas besoin d’avertissement sur un contenu qui cherche à dépeindre avec authenticité une société humaine dans un contexte donné.
Mais, la société étant ce qu’elle est, chaque épisode est précédé de son lot d’avertissements pour consommation de drogues ou d’alcool, de violence ou de scènes à caractère sexuel.
Pour autant, *Mrs Maisel* n’a rien d’un *Breaking Bad*, d’un *The Walking Dead* ou d’un *Game of Thrones*, respectivement.
Je digresse par rapport à la photographie, mais cette fidélité se retrouve également dans tous les aspects sociaux abordés dans la série, aussi bien dans les rapports entre genres que dans le management d’entreprise.
En fait, photographie et rapports sociaux se renforcent mutuellement dans *Mrs Maisel* pour donner une illusion cohérente et réaliste du New York post-1950.
Je n’apprécie pas particulièrement ces années-là sur le plan musical, mais je reconnais une sélection riche, intelligente, pertinente et parfaitement orchestrée.
La musique donne de l’entrain, achemine le spectateur d’histoires en histoires, en le faisant passer par des détours souvent humoristiques (puisque c’est le thème de la série) et, occasionnellement, mélancoliques.
Je prends beaucoup de plaisir à revoir des séries vieilles de dix à vingt ans, voire davantage encore : *She’s the Boss* (*Madame est servie*) ou *The Nanny* (*Une nounou d’enfer*) par exemple, que je trouve similaires dans leur construction, dans la mesure où, comme *Mrs Maisel*, tout est affaire d’équilibre entre comique et drama, dans une ambiance particulière, chaleureuse, positive, et où les accidents de la vie sont de simples dos d’âne sur le parcours des protagonistes.
De bonnes séries familiales, qui offrent un bon moment, qui donnent envie de se faire une tisane avec des gâteaux, emmitouflés sous la couette quand il fait froid dehors.
Plus tard, il y avait *Friends*, et *The Big Bang Theory*, mais dans des registres très différents.
Je reviens toujours à ces séries avec grand plaisir, mais la construction de la narration est différente, l’ambience n’est pas du tout la même, et la proximité temporelle de ces séries avec ma propre vie ne m’offre pas le même regard sur elles que celui que j’ai sur les séries plus anciennes.
Ces séries là, aussi excellentes qu’elles puissent être, ne me donnent pas envie de cocooning.
Et c’est là le dernier coup de maître de *Mrs Maisel* : c’est peut-être le chaînon qui manquait à mon calendrier des vingt prochaines années.
Je pense que dans vingt ans, je retrouverai le même plaisir à regarder *Mrs Maisel* que j’en ai eu à regarder *The Nanny* vingt ans après l’avoir vue pour la première fois.