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2023-09-05 23:47:36 +02:00
## En bref
Un film presque parfait, même visionné presque trente ans plus tard !
## Contexte
Le film sort en 1993, et se base sur le livre éponyme écrit par Michael Crichton
trois ans auparavent. La génétique et le clonage étaient alors des domaines
scientifiques relativement nouveaux, et alimentaient le fantasme de recréer des
animaux éteints, et en particulier des dinosaures.
C'est ainsi que John Hammond (incarné par le regretté Richard Attenborough),
riche à milliards, se lance dans la création d'un parc peuplé de dinosaures
ramenés à la vie par la science.
## Les personnages
La quasi-perfection de _Jurassic Park_ vient en partie de son casting. Aucune
fausse-note n'est à déplorer : les personnages sont variés et originaux, et
leurs interprètes sont **tous** absolument stupéfiants.
Alan Grant, par exemple, interprété par Sam Neill, atteint un équilibre rare
entre l'enthousiasme et l'inquiétude, et entre l'assurance et la peur. Cette
remarque est valable tant pour le personnage que pour l'acteur : Sam Neill est
juste et précis, cerne parfaitement Alan Grant, comme s'il avait été lui-même
un paléontologue renommé.
Laura Dern prête ses traits et sa voix à la paléobotaniste Ellie Sattler. Elle
aussi est juste et précise dans son interprétation : joie, stupeur, peur,
terreur, sans fausse note.
Mon acteur préféré du film, et que je retrouve avec plaisir dans _Le Monde
Perdu_, et dans une moindre mesure, dans la saga
[_Jurassic World_](/termes/jurassic-world/), c'est Jeff Goldblum, qui incarne le
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Professeur Ian Malcom, chaoticien de son temps. Ce qui est surprenant
d'ailleurs, puisque
[je suis moi-même détracteur de la théorie du chaos](https://git.athaliasoft.com/Livres/reflexions/src/branch/main/03_-_Hasard%2C_chaos/01-introduction.md)
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depuis longtemps ! Pourtant, Ian Malcom dégage une assurance charismatique, et
s'exprime d'une voix telle que seul Jeff Goldblum est capable de produire. Et,
en plus de son intelligence, il est doté d'un humour varié, allant de la
moquerie à la dérision, en passant par la vanité et le flegme.
Richard Attenborough est un choix intéressant pour le personnage de John
Hammond, à l'origine du parc et de ce qu'il contient, ce pourquoi il a "dépensé
sans compter". En effet, Richard est le frère de David, qui est naturaliste.
S'il avait les traits parfaits pour incarner un riche entrepreneur qui veut
passer sa retraite à dépenser sa fortune pour réaliser un rêve, son frère fut
sans doute une importante source d'inspiration pour l'élaboration de son
personnage.
Il est grand-père de deux enfants, Tim et Alex, respectivement interprétés par
Joseph Mazzello et Ariana Richards. Le premier, le plus jeune, est passionné de
dinosaures, alors que sa soeur est une nerd. Des enfants très intelligents donc,
et qui se montreront plus ou moins aptes à gérer une situation de crise. Là
encore, la prestation fournie par leurs acteurs respectifs est excellente.
On fait également la connaissance du Dr Wu, que l'on ne croisera plus avant
la saga [_Jurassic World_](/termes/jurassic-world/). Un Dr Wu incarné par un B. D.
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Wong tout jeune mais déjà en train de mélanger des ADNs et concocter tout un tas
de créatures toutes plus extraordinaires les unes que les autres. Ce n'est que
plus tard que les scénaristes lui donneront un rôle plus sombre, mais dans
_Jurassic Park_, c'est un jeune scientifique à l'aube de découvertes majeures.
Autre de mes personnages préférés, Samuel L. Jackson dans un rôle où on ne
l'attendrait pas aujourd'hui : le nerd, suffisamment bon pour gérer le parc avec
quelques stations Quadra 700, mais malheureusement pas assez pour rattrapper les
errements de Denis Nedry, lui aussi informaticien, mais passé du côté obscur de
la Force. Samuel L. Jackson se montre extrêmement convainquant clavier à la
main, ce qui est plutôt rare sur les écrans. Ses doigts parcourant les touches
du clavier d'un rythme élevé témoigne d'une assurance que j'ai vu chez peu
d'acteurs qui, dans pareille situation, ont tendance à surjouer. Et l'ambiance
qu'il met dans la salle de monitoring, rien qu'avec son mégot de cigarette
fumant comme si cette fumée sortait vraiment de son cerveau, est digne des cyber
cafés des années 1990, et fait vibrer ma corde sensible. Enfin un informaticien
est présenté sur grand écran dans un rôle crucial, important, [et plus comme un
gosse qu'on enferme dans un casier](/blog/2021/03/05/plaidoyer-en-faveur-de-l-intelligence/).
Ce qui n'est pas le cas de Dennis Nedry, interprété par Wayne Knight, qu'on
déteste assez rapidement puisqu'il va être à l'origine de la chute du parc. À
noter toutefois l'arc narratif intéressant à son sujet dans la série _LEGO®
Jurassic World : La Légende d'Isla Nublar_.
On notera enfin trois acteurs de relativement moindre importance, mais tout
aussi bons : Bob Peck qui incarne Muldoon, le garde-chasse (un rôle qui sera
attribué à différents acteurs au fil des épisodes de la saga), Martin Ferrero
qui incarne Donald Gennaro, l'avocat de Hammond, et Cameron Thor qui interpréte
Lewis Dogson qui, semble-t'il, pourrait avoir un rôle à jouer dans _Jurassic
World: Dominion_, le chapitre conclusif de cette histoire à placer aux rangs
des plus grandes de ce siècle, telles que _La Planète des Singes_, ou _Alien_.
## Esthétique
Les débuts de la génétique sont aussi les débuts de l'informatique artistique,
et c'est en visionnant le _Making Of_ que l'on s'en rend le mieux compte.
Spielberg et ses équipes n'ont rien fait de moins que révolutionner les effets
spéciaux. Entre les dinosaures moulés et construits à échelle réelle, les
animatroniques gigantesques produites pour les besoins du film, et l'utilisation
de l'informatique pour animer tous ces animaux, avec les moyens de l'époque,
considérant qu'aujourd'hui encore on galère à faire des films mêlant prises de
vue réelles et animation par ordinateur, on se rend compte que le travail sur
les dinosaures a été titanesque, et que le résultat est largement à la hauteur
des attentes. Ces effets spéciaux ont marqué le début d'une nouvelle ère.
_Jurassic Park_. 1993. J'ai dix ans, geek (des dinosaures et des ordinateurs).
Je regarde ce film près de quatre cent fois en deux ans. Je le regarde encore
aujourd'hui, presque trente ans plus tard, au moins une fois tous les deux mois.
Et il y a un élément constant dans toute la saga : l'île de Kauai. Et je rêve
d'y aller. Je rêve de voir ce que tous ces gens ont vu, car c'est pour moi le
plus bel endroi sur Terre, celui qui m'attire le plus, celui où je pourrais me
sentir chez moi.
Kauai, dans l'archipel d'Hawaï, est l'endroi parfait pour filmer _Jurassic Park_
et c'est d'ailleurs ce même emplacement qui a été choisi pour les plans larges
en extérieur de toute la saga, ajoutant la constance au merveilleux, la beauté
au sauvage, le naturel et l'artificiel, la quiétude et l'effroi, car non
contents de nous montrer l'île sous ses plus beaux attraits (ah, ces
montagnes...), on nous montre aussi une île ravagée par les tempêtes, créant un
climat aussi important pour le film original que pour les autres puisque c'est
encore un élément que l'on retrouve dans toutes les suites.
## Bande son
John Williams est responsable de ces quelques notes qui me restent en tête
depuis trente ans. Seul un maître peut m'infliger une telle torture, car chaque
fois qu'elles résonnent, je dois regarder le film. Tel les croyants allant à la
messe au son des cloches, ces violons me poussent à rejoindre ma TV et me
plonger dans Jurassic Park, puis dans Jurassic World, encore, et encore, sans
jamais ressentir le moindre ennui. Il fait partie de ces compositeurs capables
de raconter une histoire avec ses musiques, de façon aussi claire et expressive
que n'importe quel scénariste avec des mots. Déjà considéré comme une légende
bien avant _Jurassic Park_ (on lui doit les musiques de _Star Wars_ et _Indiana
Jones_ notamment, excusez du peu), ce film lui offre l'occasion d'essayer autre
chose. Et tout génie qu'il est, il a accompli cette tâche avec brio.
Les bruitages sont loin d'être en reste, car faire "parler" des animaux disparus
et desquels nous ne disposons toujours pas d'informations précises sur les
bruits qu'ils pouvaient émettre, est également un coup de génie. L'observation,
l'enregistrement et le mixage de différents cris d'animaux contemporains, tels
que des dauphins, des lions, des orques, des éléphants, etc. ont permi de
réaliser des bruits originaux, dans lesquels on sent un travail acharné de
curiosité mêlée de passion, pour tenter de trouver la bonne combinaison, et le
fait est que ça marche. On découvrira peut être dans quelques dizaines d'années
qu'en réalité, ils en étaient loin, mais pour 1993, pour _Jurassic Park_, le
travail de bruitage est parfait.
## L'histoire
Bien que s'inspirant du livre de Crichton, _Jurassic Park_ s'en éloigne. Je ne
peux lui en tenir rigueur : le film a apporté une dimension inconnue du livre,
la troisième. Voir ces dinosaures évoluer et interagir avec leur environnement
est une toute autre expérience que se les imaginer. Certes, le travail de
Crichton a été indispensable, mais Spielberg lui a donné une forme que n'importe
qui peut appréhender. De plus, l'histoire suivie par le livre me semble moins
pertinente, moins agréable à contempler. Le film, quant à lui, nous offre des
arcs narratifs à foison, certains sous-exploités, comme _Le Monde Perdu_ et
_Jurassic Park III_, d'autres prodigieux comme la saga _Jurassic World_. Au bout
du compte, on en veut toujours plus.
_Jurassic Park_ est aussi une réflexion sur notre usage des sciences, que l'on
peut résumer à cette citation de Ian Malcom :
> Vos scientifiques sont tellement préoccupés à chercher comment créer des
> dinosaures qu'ils ne se demandent pas s'ils en ont le droit.
Le film interroge sur la notion du "pouvoir" (être capable de faire quelque
chose) opposée à celle du "devoir" (est-il moral de faire ce dont on est
capables ?), mais aussi sur la notion de contrôle, centrale dans _Jurassic Park_
mais oubliée dans ces suites, jusqu'à l'arc _Jurassic World_.
Outre ces réflexions philosophiques, en 1993 se posait la question de savoir si
les dinosaures étaient plus proches des oiseaux que des reptiles, et c'est avec
assurance que _Jurassic Park_ tranche pour la première option, par la voix
d'Alan Grant, qui sera moqué pour cela au début du film. L'idée vient du
paléontologiste Jack Horner (qui a aussi participé à l'élaboration de
l'esthétique des dinosaures). Les recherches menées sur la question durant les
décennies à venir ont apporté de nombreux éléments allant en ce sens, faisant
pratiquement de _Jurassic Park_ un film d'anticipation, en tout cas sur ce point
spécifique.
## Conclusion
Un film que j'ai vu pour mes dix ans et que je regarde régulièrement avec un
plaisir qui n'a rien perdu de sa force ne peut être qu'un film d'exception.
C'est la raison pour laquelle je lui accorde sa place de meilleur film de tous
les temps, ex-aquo avec _Jurassic World_, car l'un corrige les défauts ou
manquements de l'autre : il est indispensable de voir le premier pour
s'émerveiller sur le deuxième, et il est non moins indispensable de regarder le
deuxième pour créer la nostalgie du premier. Ils sont complémentaires, et ont
contribué à me donner des émotions étant jeune, et y contribuent encore
aujourd'hui après trente ans.
Les imperfections de _Jurassic Park_ sont si insignifiantes que je les ai gardé
pour la fin : il manque de la romance (qui aurait créé un attachement encore
plus fort aux personnages d'Alan et Ellie) et du _sex-appeal_ (Allan et Ellie
sont loin d'être aussi beaux qu'Owen et Claire de _Jurassic World_).