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2023-09-05 23:47:36 +02:00
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title: "La surpopulation"
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date: 2023-08-17
weight: 17
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Il est malheureusement impossible de déterminer avec certitude l'étendue des
rapports sociaux que pouvaient entretenir nos ancêtres, quelle que soit leur
espèce et quelles que soient les espèces avec lesquelles ils avaient ces
interactions, tant que nous n'avons pas accès à leur génome, et que nous n'avons
pas identifié avec certitude le lien entre génome et comportements sociaux.
Or, nos comportements sociaux peuvent parfois être dangereux, une expression de
malveillance, de sexisme, de racisme, de ségrégation, d'ostracisme, peu importe
de quoi l'Autre est considéré comme une minorité. Notre conformisme est en
totale opposition avec la diversité de nos cultures, et est, paradoxalement, une
des sources de nos divergences. Nous ne sommes toujours pas parvenus à être
inclusifs, pas à l'échelle de notre espèce, et encore moins à l'échelle des
autres. Pourquoi ? Doit-on supposer que le rejet de l'autre est une
caractéristique innée, donc héritée de _H. neanderthalensis_, _H. denisovensis_,
_H. erectus_ ? Ou est-ce plutôt une caractéristique acquise, peut-être due à
notre surpopulation, et visant à restaurer un équilibre ? À la mutation
inappropriée d'un gène ? Impossible, pour le moment, de répondre avec certitude
à cette question. Mais en fait, peu importe l'origine de notre malveillance :
elle existe, et elle est une preuve de notre primitivisme. Et c'est en soi
également paradoxal : si nous étions primitifs, nous n'accorderions aucun intérêt
aux notions de Bien et de Mal: nous vivrions simplement nos vies, sans
interférer avec les autres dans un autre but que de pérenniser l'espèce, ce dont
nous a privé la surpopulation.
Notre population, stable pendant très longtemps, s'est subitement accrue entre
six mille et quatre mille ans avant J.-C., concomitamment à l'apparition de
l'agriculture, puis du commerce, pour continuer de croître de façon
exponentielle depuis. Nous sommes ainsi passés d'une population mondiale estimée
inférieure à dix millions d'individus il y a douze mille ans, vingt millions il
y a cinq mille ans, puis deux cent millions au III<sup>ème</sup> siècle. Cette croissance
s'est accompagnée de changements profonds dans nos interactions sociales. Ayant
appartenu autrefois à des groupes nomades de taille limitée à une cinquantaine
d'individus, nous nous rassemblions désormais dans des cités peuplées de
dizaines de milliers d'habitants[^population]. Les règles de vie ont changé, et
ce d'autant plus que le commerce a créé ou révélé les inégalités entre les
Hommes, faisant naître l'esclavage et la notion de "statut social". Car avec
le commerce vint la possibilité de s'enrichir, de posséder plus que les autres,
afin d'avoir un pouvoir sur eux. Cela a probablement exacerbé la jalousie, le
sentiment d'injustice, ou au contraire de puissance, parfois jusqu'à y chercher
une légitimité irrationnelle, et d'autres sentiments qui n'étaient peut-être
jusque là qu'enfouis dans nos pensées.
[^population]:
On estime que Rome comptait trente mille habitants au VI<sup>ème</sup> siècle av.
J.-C., et cent quatre-vingt sept mille trois cents ans plus tard.
Voir Contributeurs Wikipédia, « Rome », Wikipédia, janvier 2021. <https://fr.wikipedia.org/wiki/Rome?oldid=179070981#Démographie>
En outre, il faut prendre en compte les capacités intellectuelles requises aux
interactions sociales. Robin Dunbar, anthropologue britannique né en 1947, a
publié en 1992 une étude[^dunbar_coevolution_1993] comparant la taille du
néocortex de différents primates et la compare au nombre d'individus de leurs
groupes respectifs: le nombre de Dunbar[^contributeurs_wikipedia_nombre_2018],
qu'il estime à cent cinquante pour l'humain. C'est le nombre maximal de
relations sociales stables qu'il peut entretenir, une taille bien supérieure à
celle des groupes de chasseurs-cueilleurs, mais largement inférieure à la
population des premières cités antiques. Un nombre corroboré par des études
ultérieures menées sur Twitter[^goncalves_validation_2011] et Facebook
[^abc_science_150_2016], ce qui tend à prouver que nous ne sommes pas faits (au
sens littéral du terme) pour nous regrouper en sociétés de plusieurs dizaines de
millions d'individus...
[^dunbar_coevolution_1993]: R. I. M. Dunbar. « Coevolution of neocortical size, group size and language in humans », Behavioral and Brain Sciences 16, nᵒ 4 (décembre 1993) : 68194. <https://doi.org/10.1017/S0140525X00032325>
[^contributeurs_wikipedia_nombre_2018]: Contributeurs Wikipédia. « Nombre de Dunbar », Wikipédia, février 2018. <https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Nombre_de_Dunbar&oldid=145402588>
[^goncalves_validation_2011]: Bruno Goncalves, Nicola Perra, et Alessandro Vespignani. « Validation of Dunbars number in Twitter conversations », PLoS ONE 6, nᵒ 8 (août 2011) : e22656. <https://doi.org/10.1371/journal.pone.0022656>
[^abc_science_150_2016]: ABC Science. « 150 is the limit of real friends on Facebook », janvier 2016. <https://www.abc.net.au/news/science/2016-01-20/150-is-the-limit-of-real-facebook-friends/7101588>
Parallèlement au commerce, la politique s'est également développée. Outil
destiné à gérer de larges populations d'individus quand les sociétés basées sur
le lignage (l'autorité aux aînés des groupes) n'étaient plus suffisantes, la
politique devait permettre d'assurer la cohésion des premières villes, créant de
facto les premières inégalités sociales. Avec notre développement urbain, nous
avons donné naissance à d'innombrables courants de pensées différents. Les
villes et ce qu'elles offraient comme possibilités de communications (écrites ou
orales) et de transports (terrestres et maritimes) ont permis à ces courants
d'être largement diffusés. Cela permis, certes, l'accroissement global de la
culture et de la connaissance, mais généra également des situations
conflictuelles, menant parfois à la ségrégation. La pléthore d'idées que
l'Humain était capable de générer commençait son travail de division
destructrice. L'imposition du christianisme sous Justinien n'est qu'un exemple
parmi d'autres. Ainsi, au fil du temps, nous avons utilisé différentes idées
pour justifier le conflit: de la discrimination de genre au harcèlement sexuel,
du refus de location immobilière à la ségrégation raciale d'État, allant parfois
jusqu'au génocide ou à la guerre mondiale.
Nous étions une espèce sociale, jusqu'au jour où nous avons fondé la société
humaine. Au Moyen-Âge, l'altruisme était une qualité distinguant une caste parmi
les autres (les chevaliers), alors qu'elle était appelée, au moins depuis _H. neanderthalensis_, à devenir la norme. Depuis le développement du christianisme,
les sciences muselées par la religion étaient principalement dirigées vers la
guerre, anti-sociale par essence. La surpopulation, autrefois localisée
et promptement résolue[^contributeurs_wikipedia_surpopulation_2021] (par la
migration ou la famine) est devenue généralisée et durable, et nous a
déshumanisé, en plus de nous mener à des catastrophes malthusiennes[^malthus]
appelées à se répéter de plus en plus fréquemment, et déjà anticipées par...
Aristote dans _La Politique_[^aristote_politique_1824] au IV<sup>ème</sup> siècle av.
J.-C., et rappelées notamment par le rapport _Meadows_, _Les Limites à la croissance_[^meadows_limits_nodate], publié en 1972.
[^contributeurs_wikipedia_surpopulation_2021]: Contributeurs Wikipédia. « Surpopulation », Wikipédia, janvier 2021. <https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Surpopulation&oldid=178789022>
[^malthus]:
Une catastrophe malthusienne, de l'économiste Thomas Robert Malthus
(1766 - 1834), évoque l'effondrement systémique d'une société à cause du
déséquilibre entre sa population et ses capacités à la soutenir.
L'effondrement de lÎle de Pâques pourrait être un exemple de catastrophe
malthusienne survenue chez l'Homme.
[^aristote_politique_1824]: Aristote, La Politique, trad. Jean-François Thurot (Paris : Didot, 1824). <https://fr.wikisource.org/wiki/La_Politique/Traduction_Jean-François_Thurot/Texte_entier>
[^meadows_limits_nodate]: Donella H. Meadows et al. « The Limits to Growth: A Report for the Club of Romes Project on the Predicament of Mankind », *Issuu* consulté le 25 janvier 2021. <https://issuu.com/dartmouth_college_library/docs/the_limits_to_growth/1>
Notre expansion sans limites a fini par nous isoler dans nos cultures
respectives: peuplant un monde trop vaste pour maintenir des échanges sociaux,
nous nous sommes contentés d'échanges commerciaux, et ce n'est qu'avec l'aide de
technologies de communications modernes, telles qu'Internet, que nous avons pu
reprendre des interactions sociales complexes. Elles se sont malheureusement
assorties de nos travers les plus sombres, et ont contribué à une propagation
facile, rapide et illimitée de notre haine des autres, prouvant sans effort
notre primitivisme.
Enfin, malgré ces nouvelles technologies, nous n'avons toujours pas de
gouvernement mondial, alors que nous avons colonisé la planète entière, et que
nous commençons notre colonisation de l'espace. Qui pour nous représenter durant
l'hypothétique entretien avec la première civilisation extraterrestre sinon la
première de nos nations qui y parviendra ? Voulons-nous, de but-en-blanc, nous
présenter comme une civilisation divisée, désunie ? Nous serons socialement
primitifs tant que nous n'aurons pas résolu nos problèmes sociaux internes, pour
ensuite créer une entité mondiale capable de nous représenter à l'échelle
planétaire. Et quand nous aurons établi un premier contact, nous devrons faire
de même à l'échelon supérieur: nous devons considérer que nous sommes une
civilisation isolée d'une pluralité d'autres civilisations, et que notre avancée
en tant que telle se situe dans un spectre très large au sein duquel nous ne pouvons prétendre nous différencier. Par ailleurs, il n'y a pas que nous, humains, sur
Terre : nous sommes ses invités, comme le sont les Animaux.
Nous avons encore un long chemin à parcourir pour prétendre être réellement
évolués, à commencer par notre unification qui ne pourra passer que par une
évolution de nos communications et des aspects sociaux qu'elles impliquent.